Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que ces besoins, circonstances, nécessités réelles ou apparentes venaient à changer. Un philosophe donc qui se résoudrait à consacrer ses méditations et ses veilles à la réforme des lois, et à quoi les pensées d’un philosophe pourraient-elles mieux s’employer ? devrait arrêter ses regards sur une seule et unique société à la fois ; et si parmi ses lois et ses coutumes il en remarquait quelques-unes d’inutilement sévères, je lui conseillerais de s’adresser à ceux d’entre les chefs de cette société dont il pourrait se promettre d’éclairer l’entendement ; et de leur montrer que les besoins, les circonstances, les nécessités et les dangers, à l’occasion desquels on a inventé ces sévérités, ou ne subsistent plus, ou qu’on peut y pourvoir par des moyens plus doux pour les sujets, et du moins également sûrs pour les chefs. Les sentiments de pitié que l’Être tout-puissant a plus ou moins semés dans les cœurs des hommes, joints à la politique commune et ordinaire de s’épargner tout degré superflu de sévérité, ne pourraient manquer d’obtenir un favorable accueil à une modeste remontrance de cette nature, et produire des effets désirés, que le ton haut, fier et injurieux empêcherait vraisemblablement. Mais si un philosophe, et dans ce qu’il propose, et dans la manière dont il propose ses vues sur la réforme des lois, oublie que les hommes sont hommes, n’a aucun égard à leur faiblesse, à leur morgue même, ne consulte ni l’honneur, ni le bien-être, ni la sécurité de ceux qui ont seuls le pouvoir de donner la sanction à ces lois, ou que peut-être il n’ait jamais pris la peine de savoir quelles sont les personnes en qui réside ce pouvoir, toutes ses peines n’aboutiront à rien ou à peu de chose, du moins pour le moment. En vain se plaindra-t-il que, gli uomini lasciano per lo piu in abbandono i piu importanti regolamenti alla giornaliera prudenza, o alla discrezione di quelli l’interesse di quali e di opporsi alle piu provvide leggi[1], de ce que les hommes pour la plupart du temps abandonnent les règlements les plus importants à la discrétion de ceux dont l’intérêt est de s’opposer aux plus sages lois ; ces personnes par lesquelles il entend sans doute les riches et les puissants, lui diront qu’on n’abandonna jamais à leur discrétion la confection des lois ; que tous ont également et de tout temps envié cette

  1. Beccaria, Traité des délits et des peines, Introduction, chap. i.