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tira des mines de Freyberg et de Schneeberg le prix du royaume de Bohême ; que ces exploitations fournissaient jusqu’à cinq mille écus par semaine, et qu’en 1478, on en sortit un bloc qui fournit quatre cents quintaux d’argent ; mais on n’a pas publié la liste des hommes à qui cet argent a coûté la vie. Les mines, il est vrai, donnent aux souverains des trésors sans épuiser la bourse de leurs sujets. Les richesses acquises par la guerre sont ensanglantées. Celles qu’on va chercher en franchissant les mers sont périlleuses. On n’en obtient point par la fraude qui ne soient honteuses. Il semble que rien ne soit plus honnête et plus juste que d’accepter un bien que la nature présente d’elle-même. Les mines ont multiplié les travaux et aiguisé l’industrie ; elles ont fondé des villes ; elles ont fait naître des manufactures. Les contrées adjacentes de la Pologne sont riches par leurs mines ; la Pologne est pauvre avec ses greniers ; les mines fixent les sujets dans leur patrie : on ne peut contester toutes ces vérités. Voilà le côté séduisant ; mais le revers est affreux. Les mines exotiques ruinent les nations ; les mines indigènes ne seront jamais préférables à l’agriculture, aux manufactures et au commerce. Les nations que leur appât a séduites ressemblent parfaitement au chien de la fable, qui lâcha l’aliment qu’il portait dans sa gueule pour se jeter sur son image qu’il voyait au fond des eaux, dans lesquelles il se noya ; il lâcha la chose pour le signe. Les Espagnols, les Portugais et les autres exploiteurs de mines font-ils autrement que ce stupide animal ? Le travail des mines n’est permis qu’aux contrées malheureuses dont elles sont l’unique ressource. Laissez l’or, si la surface de la terre végétale qui le couvre peut produire un épi dont vous fassiez du pain, un brin d’herbe que vos brebis puissent paître. Le seul métal dont vous ayez vraiment besoin, et le seul que vous puissiez exploiter sans danger, c’est le fer. Faites du fer, construisez-en vos scies, vos marteaux, les socs de vos charrues ; mais ne le transformez pas en outils meurtriers que votre fureur a imaginés pour vous égorger plus sûrement. La quantité d’or et d’argent nécessaire aux échanges des nations est si petite, pourquoi donc la multiplier sans fin ? Quelle importance y a-t-il à représenter cent aunes de toile par une livre ou par vingt livres d’or ou d’argent ? Puissiez-vous réussir dans votre cupidité et vos travaux opiniâtres, au point que