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inconvénient des richesses est à la longue l’impossibilité de satisfaire aux besoins réels pour avoir trop cédé aux superfluités.

moi.

Vous ne me montrez jamais, mon père, que les mauvais côtés de l’opulence ; permettez-moi, à mon tour, de plaider un peu sa cause.

mon père

J’y consens.

moi.

Je ne parlerai point de ce que vous appelez son côté frivole. Je sens bien que si l’on n’avait que le luxe et le faste à alléguer en faveur des richesses, elles ne seraient pas aussi désirables pour tous ; c’est cependant par ce côté frivole que la richesse fait souvent la douceur et l’agrément de la vie. Mais, sans s’y arrêter, peut-on être indifférent au plaisir d’orner sa maison, d’embellir et d’améliorer sa terre, d’amasser des revenus à ses enfants, sans être obligé de se retrancher, ni de les priver de l’aisance, ni de se refuser à sa générosité naturelle ? Je m’en rapporte à vous, mon père : quelle satisfaction n’avez-vous pas lorsque vous avez pu vous laisser aller à ce penchant, et vous avouer en même temps qu’il n’a pas été satisfait à mes dépens ? J’ai vu, oui, j’ai vu souvent votre joie à l’aspect de vos coffres remplis du fruit des récoltes ; si vous n’êtes pas indifférent à cet avantage, mon père, bien d’autres peuvent en être vains. Je ne sais, mais j’avoue que le particulier le plus riche me paraît être le plus heureux. Par exemple, je sens que j’aurais la fantaisie d’orner ma ville d’un édifice qui me fît connaître aux quatre coins du monde, moins pourtant par sa magnificence que par son utilité.

mon père

Sophisme de la vanité, mon enfant!

moi.

Eh bien, mon père, un pauvre honteux qu’on tire de la misère, un autre indigent qu’on délivre de la servitude, de l’oppression ou de l’injustice… Ceux qu’on aime, à qui on ne laisse pas le temps de désirer… Ah ! qui mieux que vous peut être touché de cet avantage ! Ce ne sont pas là des sophismes.