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l’humeur me gagne, j’ai de l’impatience, elle en rit, et dit, sans s’émouvoir, qu’avant peu je me moquerai de moi-même de concert avec elle. De bonne foi, peut-on tenir à cela ?

la marquise.

Cela est fort dur en effet. A votre place je la laisserais là.

saint-alban, vivement.

La laisser là ! Ah ! madame ! y pensez-vous ? Il faudrait que je fusse fou. Je tiens à mon amour plus qu’à ma vie.

la marquise.

Cela est bien fort.

saint-alban.

Non, il n’y a rien de trop ; vous pouvez le prendre à la lettre.

la marquise.

Mais je ne vous conçois pas. Après tout ce que vous venez de me dire, quels grands plaisirs trouvez-vous donc à cet amour ?

saint-alban.

Mille, madame, dix mille ; tous les jours de nouveaux… Et puis croyez qu’on chérit bien plus cette passion pour les peines dont elle console, que pour les plaisirs qu’elle donne.

la marquise.

Cela est vrai. (Ils se rasseyent ; après un moment de silence elle dit : ) Et Riquemont, qu’en faites-vous ?

saint-alban.

Je ne le vois plus.

la marquise.

Et pourquoi ?

saint-alban.

Dispensez-moi, madame, de répondre en détail à cette question. Je l’avais cru mon ami depuis dix ans. Il me le disait ; il me l’avait même prouvé, à ce qu’il me semblait. Ou je me suis trompé, ou il a cessé de m’aimer. Cette illusion détruite m’a causé la plus vive douleur ; et sans Julie, mais surtout sans Serigni, dont les soins ne se sont jamais démentis, je ne sais ce qui m’en serait arrivé.