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saint-alban.

Pardonnez-moi, madame ; j’y vais tous les jours.

la marquise.

Qui vous y oblige ?

saint-alban.

C’est que… C’est que je ne puis m’en empêcher.

la marquise.

Ah ! j’entends ! vous êtes amoureux de sa fille.

saint-alban.

Comme un fou, madame, puisqu’il faut vous le dire.

la marquise.

Et vous êtes sûrement aimé ? (Saint-Alban soupire et se tait.) J’entends. Ce silence est le oui des honnêtes gens. Eh bien, j’en suis ravie. Julie est belle, riche ; vous vous convenez à merveille. Vous pensez sans doute à ce mariage ?

saint-alban.

Que trop !

la marquise.

Comment que trop ? Ne dites-vous pas que vous l’aimez et qu’elle ne vous hait pas ?

saint-alban.

Eh bien, madame, son père, sa mère, Julie elle-même se sont ligués tous les trois contre moi et abusent de ma passion pour m’ôter à jamais le repos. Ils mettent mon mariage à des conditions… qui me sont antipathiques et auxquelles je ne puis consentir.

la marquise.

Vous m’étonnez ; lesquelles donc ?

saint-alban.

Ils prétendent, par je ne sais quel principe, que si je veux me marier, il me faut un emploi ; qu’à mon âge, avec du bien et de la naissance, il est honteux de ne rien faire.

la marquise.

Mais ce principe-là est celui de tous les gens raisonnables.

saint-alban.

Quoi ! parce que je suis né avec plus d’avantage qu’un autre, il faut que je me tourmente, afin de me rendre plus malheureux que celui que le sort n’a pas aussi bien traité ?