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la seconde femme.

À la longue, il s’en fit une amie ; il goûta son caractère ; il sentit la force de son esprit ; il retint ses propos ; il les cita, et bientôt Polychresta n’eut plus contre elle que son air décent, son maintien réservé, et je ne sais quelle ressemblance de famille avec Azéma, qu’il ne se rappelait jamais sans bâiller. Les services qu’elle lui rendit dans des occasions importantes achevèrent de vaincre ses répugnances. La fée, qui n’abandonnait point son projet de vue, revint à la charge. Dans ces entrefaites on annonça au prince que plusieurs seigneurs étrangers, à qui il avait fait des billets d’honneur pendant sa disgrâce, en sollicitaient le payement, et il épousa.

Il porta à l’autel un front soucieux ; il se souvint de Lively, et il en soupira. Polychresta s’en aperçut ; elle lui en fit des reproches, mais si doux, si honnêtes, si modérés, qu’il ne put s’empêcher d’en verser des larmes, et de l’embrasser.

la sultane.

Je les plains l’un et l’autre.

la seconde femme.

« Je n’ai point de goût pour Polychresta, disait-il en lui-même ; mais j’en suis fortement aimé : il n’y a point de femme au monde que j’estime autant qu’elle, sans en excepter Lively. Voilà donc l’objet dont je suis désespéré de devenir l’époux ! La fée a raison ; oui, elle a raison ; il faut que je sois fou ! Les femmes de son mérite sont-elles donc si communes pour s’affliger d’en posséder une ? D’ailleurs elle a des charmes qui seront même durables : à soixante ans elle aura de la bonne mine. Je ne puis me persuader qu’elle radote jamais ; car je lui trouve plus de sens et plus de lumières qu’il n’en faut pour la provision et pour la vie d’une douzaine d’autres. Avec tout cela, je souffre. D’où vient cette cruelle indocilité de mon cœur ? Cœur fou, cœur extravagant, je te dompterai. »

Ce soliloque, appuyé de quelques propositions faites au prince de la part de Polychresta, le forcèrent, sinon à l’aimer, du moins à vivre bien avec elle.

la sultane.

Ces propositions, je gagerais bien que je les sais. Continuez.