DISCOURS
D’UN
PHILOSOPHE À UN ROI[1]
Sire, si vous voulez des prêtres, vous ne voulez point de philosophes, et si vous voulez des philosophes, vous ne voulez point de prêtres ; car les uns étant par état les amis de la raison et les promoteurs de la science, et les autres les ennemis de la raison et les fauteurs de l’ignorance, si les premiers font le bien, les seconds font le mal ; et vous ne voulez pas en même temps le bien et le mal. Vous avez, me dites-vous, des philosophes et des prêtres : des philosophes qui sont pauvres et peu redoutables, des prêtres très-riches et très-dangereux. Vous ne vous souciez pas trop d’enrichir vos philosophes, parce que la richesse nuit à la philosophie, mais votre dessein serait de les garder ; et vous désireriez fort d’appauvrir vos prêtres et de vous en débarrasser. Vous vous en débarrasserez sûrement et avec eux de tous les mensonges dont ils infectent votre nation, en les appauvrissant ; car appauvris, bientôt ils seront avilis, et qui est-ce qui voudra entrer dans un état où il n’y aura ni honneur à acquérir, ni fortune à faire ? Mais comment les appauvrirez-vous ? Je vais vous le dire. Vous vous garderez bien d’attaquer leurs privilèges et de chercher d’abord à les réduire à la
- ↑ Ce discours a été composé pendant la période où Diderot écrivait la Réfutation de l’Homme et le Plan d’une Université. C’est le développement d’idées que nous avons rencontrées partiellement reproduites dans ces deux ouvrages. À quel souverain s’adresse le philosophe ? On ne peut guère supposer que ce soit à Louis XVI. À Frédéric ? Il avait refusé d’accepter son invitation de passer par Berlin. À Catherine ? Il lui avait déjà fait part de ses opinions sur ce point délicat. Peut-être n’y a-t-il là qu’un roi imaginaire et une boutade inspirée par les difficultés que le clergé soulevait pour échapper à l’impôt que Turgot essayait alors de rendre égal pour toutes les classes de citoyens.