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voulait avoir. Il était fat, petit-maître, insolent avec les femmes, lâche avec les hommes, grand parleur, ayant beaucoup de mémoire et n’en ayant pas encore assez, ignorant les bonnes choses, la tête pleine de frivolités, faisant des nouvelles, apprêtant des contes, imaginant des aventures scandaleuses, qu’il nous débitait comme des vérités. Nous donnions là-dedans ; il riait sous cape, et nous prenait pour des imbéciles, lui, pour un esprit supérieur. »

la sultane.

Ne fut-ce pas ce même personnage qui inventa le grand art de persiffler ? Si cela n’est pas, laissez-le-moi croire.

la première femme.

« La fée me paraissait plus digne d’attention que sa nièce. Je commençais à me faire à son air austère et sérieux. Elle avait des charmes, mais on n’en était pas toujours touché. Elle ne changeait point, mais on était journalier avec elle. Ce qui me rebutait quelquefois, c’était une sécheresse excessive. Son visage seulement conservait quelque sorte d’embonpoint. Sa taille était ordinaire. Elle avait l’air noble, la démarche grave et composée, les yeux pénétrants et petits, quelque chose d’intéressant dans la physionomie, la bouche grande, les dents belles, les cheveux de toutes sortes de couleurs. On remarquait dans ses traits je ne sais quoi d’antique qui ne plaisait pas à tout le monde. Elle ne manquait pas d’esprit. Pour des connaissances, personne n’en avait davantage et de plus sûres. Elle ne laissait rien entrer dans sa tête, sans l’avoir bien examiné. Du reste, sans enjouement et sans aménité, aimant la promenade, la philosophie, la solitude et la table ; écrivant durement ; ayant tout vu, tout lu, tout entendu, tout retenu, excepté l’histoire et les voyages ; faisant ses délices des ouvrages de caractère et de mœurs, pourvu que la religion n’y fût point mêlée. Il était défendu de parler en sa présence de son dieu, de sa maîtresse et de son roi. Les mathématiques étaient presque son unique étude. La musique ne lui déplaisait pas, surtout l’italienne. Elle avait peu de gout pour la poésie. Elle aimait les enfants à la folie ; aussi lui en envoyait-on de toutes parts ; mais elle ne les gardait pas longtemps : à peine avaient-ils l’âge de raison, que Rousch et ses partisans nombreux les lui débauchaient. »

la sultane.

La fée n’était-elle pas là, lorsque Génistan en parlait ainsi ?