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Japon ; les plaisirs les plus délicats vous y attendent : vous y verrez la plus belle ménagerie ; on vous y donnera des combats de taureaux ; et je ne doute point qu’à votre arrivée il n’y ait un rhinocéros mis à mort, avec un hourvari fort récréatif… »

« Il prit, en cet endroit, à la princesse, un bâillement. Ah ! seigneur, quel bâillement ! Vous n’en fîtes jamais un plus étendu dans aucune de vos audiences. Cela signifiait, à ce que j’imaginai, que nos amusements n’étaient pas de son goût ; et je lui témoignai qu’on s’empresserait à lui en inventer d’autres.

« — Y a-t-il loin ? demanda la princesse.

« — Non, madame, lui répondis-je. Une chaise des plus commodes que Falkemberg ait jamais faites, vous y portera, jour et nuit, en moins de trois mois.

« — Je n’aime point les voyages, dit Lirila en se retournant, et l’idée de votre chaise de poste me brise. Si vous me parliez un peu de vous, cela me délasserait peut-être. Il y a si longtemps que vous m’entretenez de votre père, qui a soixante ans, et qui est à mille lieues !… »

« La princesse s’interrompit deux ou trois fois en prononçant cette énorme phrase ; et l’on répandit que votre chaise l’avait furieusement secouée pour en faire sortir tant de mots à la fois. Pour surcroît de fatigue, en les disant, Lirila avait encore pris la peine de me regarder. Je crois, seigneur, vous avoir prévenu que c’était une de ces femmes qu’il fallait sans cesse deviner. Je conçus donc qu’elle ne pensait plus à vous, et qu’il fallait profiter de l’instant qu’elle avait encore à penser à moi ; car Lirila s’était rarement occupée une heure de suite d’un même objet. »

la sultane.

Cela est charmant ! Premier émir, continuez.


Le premier émir dit qu’il n’avait jamais eu moins d’imagination que ce soir ; qu’il était distrait sans savoir pourquoi ; qu’il souffrait un peu de la poi­trine, et qu’il suppliait la sultane de lui permettre de se retirer. La sultane lui répondit qu’il valait mieux, pour son indisposition, qu’il restât ; et elle ordonna au second émir de suivre le récit.

le second émir.

« Le bal finit. On porta la princesse dans son appartement, où j’eus l’honneur de l’accompagner. On la posa tout de son