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assez mal à propos, de ce que ne trouvant pas Lirila digne de vous, je la pris pour moi. Mais écoutez maintenant comme la chose arriva.

« Quelque jours après ma demande, je rendis à Lirila une visite, pendant laquelle je la trouvai moins assoupie qu’à l’ordinaire. On l’avait coiffée d’une certaine façon avec des rubans couleur de rose, qui relevaient un peu la pâleur de son teint. Des rideaux cramoisis, tirés avec art, jetaient sur son visage un soupçon de vie ; on eût dit qu’elle sortait des mains d’un célèbre peintre de notre académie. Elle n’avait pas la contenance plus émue, ni le geste plus animé ; mais elle ne bâilla pas quatre fois en une heure. On aurait pu la prendre, à sa nonchalance, à sa lassitude vraie ou fausse, pour une épousée de la veille. »

la sultane.

Madame ne pourrait-elle pas aller un peu plus vite, et penser qu’elle n’est pas la princesse Lirila ?


Ce mot de la sultane désola les deux femmes et les deux émirs : ils étaient tous quatre attendus en rendez-vous ; et Mirzoza, qui le savait, souriait entre ses rideaux de leur impatience.

la seconde femme.

Il devait y avoir bal ; et c’était l’étiquette de la cour de Tongut, que celui qui l’ouvrait se trouvât chez sa dame au moins cinq heures avant qu’il commençât. Voilà, seigneur, ce qui me fit aller chez la princesse Lirila de si bonne heure.

la sultane.

La fée Vérité n’était-elle pas à cette séance du prince et de son père ?

la seconde femme.

Oui, madame.

la sultane.

Je ne lui ai pas encore entendu dire un mot.

la seconde femme.

C’est qu’elle parle peu en présence des souverains.

la sultane.

Continuez.

la seconde femme.

« J’eus donc une fort longue conversation avec elle, pendant laquelle elle articula un assez grand nombre de monosyllabes