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ne saurais m’en passer : si vous pouviez la résoudre à n’être que ma maitresse, je ferais ma femme de Polychresta, et nous serions tous contents. »

La fée, quoique naturellement sérieuse, ne put s’empêcher de rire de l’expédient du prince. « Vous êtes jeune, lui dit-elle, et je vous excuse de préférer Lively.

— Ah ! elle me sera plus nécessaire encore, quand je serai vieux.

— Vous vous trompez, lui dit la fée, Lively vous importunera souvent quand vous serez sur le retour ; mais Polychresta sera de tous les temps.

— Et voilà justement, reprit le prince, pourquoi je les veux toutes deux : Lively m’amusera dans mon printemps, et Polychresta me consolera dans ma vieillesse. »

la sultane.

Ah ! ma bonne, vous êtes délicieuse ; je ne connais pas d’insomnie qui tienne là contre : vous filez une conversation et l’assoupissement avec un art qui vous est propre ; personne me sait appesantir les paupières comme vous ; chaque mot que vous dites est un petit poids que vous leur attachez ; et, quatre minutes de plus, je crois que je ne me serais réveillée de ma vie. Continuez.

la première femme.

Après cette conversation, qui n’avait pas laissé de durer, comme la sultane l’a sensément remarqué, le prince se retira dans son ancien appartement ; il passa plusieurs jours encore avec la fée, qui lui donna de bons avis, dont il lui promit de se souvenir dans l’occasion, et qu’il n’avait presque pas écoutés. Ensuite il redevint pigeon à son grand regret : la fée le prit sur de poing, et l’élança dans les airs sans cérémonie ; il partit à tire-d’aile pour le Japon, où il arriva en fort peu de temps, quoiqu’il y eût assez loin.

la sultane.

Il n’en coûte pas autant pour s’éloigner de Vérité, que pour la rencontrer.

la première femme.

La fée qui sentait que le prince aurait plus besoin d’elle que jamais, à présent qu’il était à la cour, se hâta de finir la solution d’un problème fort difficile et fort inutile…