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dirait rien que Zuleïman ne pût entendre avec plaisir qu’elle désira sa présence.

Mangogul réitéra son essai, et le bijou de Zaïde répéta d’une voix douce et tendre : « Zuleïman, cher Zuleïman, que je t’aime ! que tu m’es cher ! »

« Zuleiman, s’écria le sultan, est le mortel le plus fortuné de mon empire. Quittons ces lieux où l’image d’un bonheur plus grand que le mien se présente à mes yeux et m’afflige. » Il sortit aussitôt, et porta chez la favorite un air inquiet et rêveur.

« Prince, qu’avez-vous ? demanda-t-elle ; vous ne me dites rien de Zaïde…

— Zaïde, madame, répondit Mangogul, est une femme adorable ! Elle aime comme on n’a jamais aimé.

— Tant pis pour elle, repartit Mirzoza.

— Que dites-vous ?… reprit le sultan.

— Je dis, répondit la favorite, que Kermadès est un des maussades personnages du Congo ; que l’intérêt et l’autorité des parents ont fait ce mariage-là, et que jamais époux n’ont été plus dépareillés que Kermadès et Zaïde.

— Eh ! madame, reprit Mangogul, ce n’est pas son époux qu’elle aime…

— Et qui donc ? demanda Mirzoza.

— C’est Zuleïman, répondit Mangogul.

— Adieu donc les porcelaines et le petit sapajou, ajouta la sultane.

— Ah ! disait tout bas Mangogul, cette Zaïde m’a frappé ; elle me suit ; elle m’obsède ; il faut absolument que je la revoie. »

Mirzoza l’interrompit par quelques questions auxquelles il répondit des monosyllabes. Il refusa un piquet qu’elle lui proposa, se plaignit d’un mal de tête qu’il n’avait point, se retira dans son appartement, se coucha sans souper, ce qui ne lui était arrivé de sa vie, et ne dormit point. Les charmes et la tendresse de Zaïde, les qualités et le bonheur de Zuleïman le tourmentèrent toute la nuit.

On pense bien qu’il n’eut aujourd’hui rien à faire de plus pressé que de retourner chez Zaïde : il sortit de son palais sans avoir fait demander des nouvelles de Mirzoza ; il y manquait pour la première fois. Il trouva Zaïde dans le cabinet de la veille. Zuleïman y était avec elle. Il tenait les mains de sa maîtresse