Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

subtilité, que je comparerais volontiers à l’art de faire passer des grains de millet par le trou d’une aiguille, c’est une misérable petite étude journalière dont toute l’utilité est domestique et minutieuse, à l’aide de laquelle un valet trompe son maître, et son maître trompe ceux dont il est le valet, en leur échappant. L’esprit observateur dont je parle s’exerce sans effort, sans contention ; il ne regarde point, il voit ; il s’instruit, il s’étend sans étudier ; il n’a aucun phénomène présent, mais ils l’ont tous affecté, et ce qui lui en reste c’est une espèce de sens que les autres n’ont pas ; c’est une machine rare qui dit : cela réussira… et cela réussit ; cela ne réussira pas… et cela ne réussit pas ; cela est vrai ou cela est faux… et cela se trouve comme il l’a dit. Il se remarque et dans les grandes choses et dans les petites. Cette sorte d’esprit prophétique n’est pas le même dans toutes les conditions de la vie ; chaque état a le sien. Il ne garantit pas toujours des chutes, mais la chute qu’il occasionne n’entraîne jamais le mépris, et elle est toujours précédée d’une incertitude. L’homme de génie sait qu’il met au hasard, et il le sait sans avoir calculé les chances pour ou contre ; ce calcul est tout fait dans sa tête.