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Il entra dans son hôtel, et s’y renferma quelques jours, moins chagrin, dans le fond, de la perte qu’il avait faite que de sa longue erreur. Ce n’était pas son cœur, c’était sa vanité qui souffrait. Il redoutait les reproches de la favorite et les plaisanteries du sultan, et il évitait l’une et l’autre.

Il s’était presque déterminé à renoncer à la cour, à s’enfoncer dans la solitude et à achever en philosophe une vie dont il avait perdu la plus grande partie sous l’habit d’un courtisan, lorsque Mirzoza, qui devinait ses pensées, entreprit de le consoler, le manda au sérail et lui tint ce discours : « Eh bien ! mon pauvre Sélim, vous m’abandonnez donc ? Ce n’est pas Fulvia, c’est moi que vous punissez de ses infidélités. Nous sommes tous fâchés de votre aventure : nous convenons qu’elle est chagrinante ; mais si vous faites quelque cas de la protection du sultan et de mon estime, vous continuerez d’animer notre société, et vous oublierez cette Fulvia qui ne fut jamais digne d’un homme tel que vous.

— Madame, lui répondit Sélim, l’âge m’avertit qu’il est temps de me retirer. J’ai vu suffisamment le monde ; je me serais vanté il y a quatre jours de le connaître ; mais le trait de Fulvia me confond. Les femmes sont indéfinissables, et toutes me seraient odieuses, si vous n’étiez comprise dans un sexe dont vous avez tous les charmes. Fasse Brama que vous n’en preniez jamais les travers ! Adieu, madame ; je vais dans la solitude m’occuper de réflexions utiles. Le souvenir des bontés dont vous et le sultan m’avez honoré, m’y suivra ; et si mon cœur y forme encore quelques vœux, ce sera pour votre bonheur et sa gloire.

— Sélim, lui répondit la favorite, vous prenez conseil du dépit. Vous craignez un ridicule que vous éviterez moins en vous éloignant de la cour, qu’en y demeurant. Ayez de la philosophie tant qu’il vous plaira ; mais ce n’est pas ici le moment d’en faire usage : on ne verra dans votre retraite qu’humeur et que chagrin. Vous n’êtes point fait pour vous confiner dans un désert ; et le sultan… »

L’arrivée de Mangogul interrompit la favorite ; elle lui communiqua le dessein de Sélim.

« Il est donc fou ! dit le prince : est-ce que les mauvais procédés de cette petite Fulvia lui ont tourné la tête ? » Puis s’adressant à Sélim : « Il n’en sera pas ainsi, notre ami ;