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Le faux sultan ne fut pas bête ; c’était un homme qui savait parler par signes ; il en fit un qui attira la belle dans un endroit écarté, où elle se prit, pendant plus d’une heure, pour la sultane favorite, et Dieu sait les projets qui lui roulèrent dans la tête ; mais l’enchantement dura peu. Lorsqu’elle eut accablé le prétendu sultan de caresses, elle le pria de se démasquer ; il le fit, et montra une physionomie armée de deux grands crocs, qui n’appartenaient point du tout à Mangogul.

« Ah ! fi, s’écria la petite bourgeoise : Fi…

— Eh ! mon petit tame, lui répondit le Suisse, qu’avoir vous ? Moi l’y croire vous avoir rentu d’assez bons services pour que vous l’y être pas fâchée de me connaître. »

Mais sa déesse ne s’amusa point à lui répondre, s’échappa brusquement de ses mains, et se perdit dans la foule.

Ceux d’entre les bijoux qui n’aspirèrent pas à de si grands honneurs, ne laissèrent pas que de rencontrer le plaisir, et tous reprirent la route de Banza, fort satisfaits de leur voyage.

L’on sortait du bal lorsque Mangogul entendit deux de ses principaux officiers qui se parlaient avec vivacité. « C’est ma maîtresse, disait l’un : je suis en possession depuis un an, et vous êtes le premier qui vous soyez avisé de courir sur mes brisées. À propos de quoi me troubler ? Nassès, mon ami, adressez-vous ailleurs : vous trouverez cent femmes aimables qui se tiendront pour trop heureuses de vous avoir.

— J’aime Amine, répondait Nassès ; je ne vois qu’elle qui me plaise. Elle m’a donné des espérances, et vous trouverez bon que je les suive.

— Des espérances ! reprit Alibeg.

— Oui, des espérances…

— Morbleu ! cela n’est point…

— Je vous dis, monsieur, que cela. est, et que vous me ferez raison sur l’heure du démenti que vous me donnez. »

À l’instant ils descendirent le grand perron ; ils avaient déjà le cimeterre tiré, et ils allaient finir leur démêlé d’une façon tragique, lorsque le sultan les arrêta, et leur défendit de se battre avant que d’avoir consulté leur Hélène.

Ils obéirent et se rendirent chez Amine, où Mangogul les suivit de près. « Je suis excédée du bal, leur dit-elle ; les yeux me tombent. Vous êtes de cruelles gens, de venir au moment