Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux que les nôtres. Le Congo, je crois n’est pas loin de Maroc. »

« On arrangeait des soupers dont je devais être. Pour peu que mon discours fût sensé, on le trouvait délié, admirable ; on se récriait, parce qu’on m’avait d’abord fait l’honneur de soupçonner que je n’avais pas le sens commun. »

« — Il est charmant, reprenait avec vivacité une autre femme de cour ; quel meurtre de laisser retourner une jolie figure comme celle-là dans un vilain pays où les femmes sont gardées à vue par des hommes qui ne le sont plus ! Est-il vrai, monsieur ? on dit qu’ils n’ont rien : cela est bien déparant pour un homme… »

« — Mais, ajoutait une autre, il faut fixer ici ce grand garçon-là ; il a de la naissance : quand on ne le ferait que chevalier de Malte ; je m’engage, si l’on veut, à lui procurer de l’emploi ; et la duchesse Victoria, mon amie de tous les temps, parlera en sa faveur au roi, s’il le faut. »

« J’eus bientôt des preuves non suspectes de leur bienveillance ; et je mis la marquise en état de prononcer sur le mérite des habitants de Maroc et du Congo ; j’éprouvai que l’emploi que la duchesse et son amie m’avaient promis était difficile à remplir, et je m’en défis. C’est dans ce séjour que j’appris à former de belles passions de vingt-quatre heures ; je circulai pendant six mois dans un tourbillon, où le commencement d’une aventure n’attendait point la fin d’une autre : on n’en voulait qu’à la jouissance ; tardait-elle à venir, ou était-elle obtenue, on volait à de nouveaux plaisirs.

— Que me dites-vous là, Sélim ? interrompit la favorite ; la décence est donc inconnue dans ces contrées ?

— Pardonnez-moi, madame, répondit le vieux courtisan ; on n’a que ce mot à la bouche : mais les Françaises ne sont pas plus esclaves de la chose que leurs voisines.

— Et quelles voisines ? demanda Mirzoza.

— Les Anglaises, repartit Sélim, femmes froides et dédaigneuses en apparence, mais emportées, voluptueuses et vindicatives, moins spirituelles et plus raisonnables que les Françaises : celles-ci aiment le jargon des sentiments ; celle-là préfèrent l’expression du plaisir. Mais à Londres comme à Paris, on s’aime, on se quitte, on renoue pour se quitter encore. De