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crinière à une palatine, et tout de suite vous plantâtes une vilaine tête de chien à la place d’une très belle tête de femme.

— Vos idées me paraissent justes, répondit Mangogul ; que ne les mettez-vous au jour ? elles pourraient contribuer au progrès de la divination par les songes, science importante qu’on cultivait beaucoup il y a deux mille ans, et qu’on a trop négligée depuis. Un autre avantage de votre système, c’est qu’il ne manquerait pas de répandre des lumières sur plusieurs ouvrages tant anciens que modernes, qui ne sont qu’un tissu de rêveries, comme le Traité des idées de Platon, les Fragments d’Hermès-Trismégiste, les Paradoxes littéraires[1] du père H…, le Newton, l’Optique des couleurs, et la Mathématique universelle d’un certain bramine[2] ; par exemple, ne nous diriez-vous pas, monsieur le devin, ce qu’Orcotome avait vu pendant le jour quand il rêva son hypothèse ? Ce que le père C… avait rêvé quand il se mit à fabriquer son orgue des couleurs ? et quel avait été le songe de Cléobule, quand il composa sa tragédie ?

— Avec un peu de méditation j’y parviendrais, seigneur, répondit Bloculocus ; mais je réserve ces phénomènes délicats pour le temps où je donnerai au public ma traduction de Philoxéne, dont je supplie Votre Hautesse de m’accorder le privilège.

— Très-volontiers, dit Mangogul ; mais qu’est-ce que ce Philoxène ?

— Prince, reprit Bloculocus, c’est un auteur grec qui a très-bien entendu la matière des songes.

— Vous savez donc le grec ?…

— Moi, seigneur, point du tout.

— Ne m’avez-vous pas dit que vous traduisiez Philoxène, et qu’il avait écrit en grec ?

— Oui, seigneur ; mais il n’est pas nécessaire d’entendre une langue pour la traduire, puisque l’on ne traduit que pour des gens qui ne l’entendent point.

  1. Le P. Hardouin, jésuite, auteur de l’Apologie d’Homère, où l’on explique le véritable dessein de son Iliade et de sa Théomythologie. 1716. Il a aussi retrouvé la situation du paradis terrestre.
  2. Le P. Castel, déjà nommé.