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promesses de l’année ; le curé imagina de conserver à ses paysans une journée précieuse ; le dimanche il fait sonner le salut, il s’habille et il allait entamer la prière lorsque le procureur fiscal s’avance et forme opposition à la célébration. À la place du curé, qu’eussiez-vous dit à votre magistrat ? que la prière ne serait pas meilleure demain qu’aujourd’hui ; que vos paroissiens seraient occupés dans les champs à des travaux utiles ; qu’il ne fallait pas compter sur l’inconstance du temps et que toute leur richesse dépendait peut-être de la journée de demain ; mais le procureur fiscal savait toutes ces raisons aussi bien que son curé et elles n’avaient point arrêté son opposition. Le curé de Deuil lui dit : « Cela est juste ; l’acte veut le salut lundi et c’est aujourd’hui dimanche ; mais le salut est sonné et je ne sais pas faire dessonner, » et le salut fut chanté.


Si j’avais dit à ce père avare : Vous laissez manquer votre enfant de maîtres et d’instruction ; pourquoi donc êtes-vous son père ? le temps s’avance ; il prendra le goût de la paresse ; et lorsque vous songerez à lui donner un état, il n’aura aucune des connaissances nécessaires. Est-ce que ce père ne s’était pas dit à lui-même ces choses cent fois ? Est-ce qu’il ne les avait pas entendues dans la bouche de sa femme, de ses parents, de ses amis ? Que faire donc, que faire ? Lui montrer son fils sous le seul aspect qui l’intéressât, comme son coffre-fort ; lui dire : Cet enfant est votre coffre-fort ; c’est là que toute votre fortune, qui vous coûte tant à amasser, sera un jour déposée ; si vous n’y prenez garde, il gardera mal ; les vertus sont autant de serrures difficiles à ouvrir ; les talents autant de bandes de fer dont vous l’entourerez ; on ne dépense pas tandis que l’on gagne ; et ainsi des autres raisons qui s’adresseront à son vice.


Dans le monde et dans la comédie, n’adresser qu’à l’homme de sens les choses qui nous persuaderaient ; parler au fou selon sa folie.

Mais telle est notre vanité, que ce qui nous convient est, à notre jugement, ce qu’il y a de mieux.