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CHAPITRE XL.

rêve de mirzoza.

Après que Mangogul eut achevé le discours académique de Girgiro l’entortillé, il fit nuit, et l’on se coucha.

Cette nuit, la favorite pouvait se promettre un sommeil profond ; mais la conversation de la veille lui revint dans la tête en dormant ; et les idées qui l’avaient occupée se mêlant avec d’autres, elle fut tracassée par un songe bizarre, qu’elle ne manqua pas de raconter au sultan.

« J’étais, lui dit-elle, dans mon premier somme lorsque je me suis sentie transportée dans une galerie immense toute pleine de livres : je ne vous dirai rien de ce qu’ils contenaient ; ils furent alors pour moi ce qu’ils sont pour bien d’autres qui ne dorment pas : je ne regardai pas un seul titre ; un spectacle plus frappant m’attira tout entière.

« D’espace en espace, entre les armoires qui renfermaient les livres, s’élevaient des piédestaux sur lesquels étaient posés des bustes de marbre et d’airain d’une grande beauté : l’injure des temps les avait épargnés ; à quelques légères défectuosités prés, ils étaient entiers et parfaits ; ils portaient empreintes cette noblesse et cette élégance que l’antiquité a su donner à ses ouvrages ; la plupart avaient de longues barbes, de grands fronts comme le vôtre, et la physionomie intéressante.

« J’étais inquiète de savoir leurs noms et de connaître leur mérite, lorsqu’une femme[1] sortit de l’embrasure d’une fenêtre, et m’aborda : sa taille était avantageuse, son pas majestueux et sa démarche noble ; la douceur et la fierté se confondaient dans ses regards ; et sa voix avait je ne sais quel charme qui pénétrait ; un casque, une cuirasse, avec une jupe flottante de satin blanc, faisaient tout son ajustement. « Je connais votre embarras, me dit-elle, et je vais satisfaire votre curiosité. Les hommes dont les bustes vous ont frappé furent mes favoris ; ils ont consacré leurs veilles à perfectionner des beaux-arts, dont on me doit l’invention : ils vivaient dans les pays de la

  1. Minerve.