Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Soit, répondit Mangogul ; Sélim nous jugera. Je ne demande que quelque délai avant que d’interroger le bijou d’Églé. Il faut bien laisser à l’air de la cour et à la jalousie de son époux le temps d’opérer. »

Mirzoza accorda le mois à Mangogul ; c’était la moitié plus qu’il ne demandait ; et ils se séparèrent également remplis d’espérance. Tout Banza l’eût été de paris pour et contre, si la promesse du sultan se fût divulguée. Mais Sélim se tut, et Mangogul se mit clandestinement en devoir de gagner ou de perdre. Il sortait de l’appartement de la favorite, lorsqu’il l’entendit qui lui criait du fond de son cabinet : « Prince, et le petit sapajou ?

— Et le petit sapajou », lui répondit Mangogul en s’éloignant. Il allait de ce pas dans la petite maison d’un sénateur, où nous le suivrons.

CHAPITRE XXXV.

quinzième essai de l’anneau.

alphane.

Le sultan n’ignorait pas que les jeunes seigneurs de la cour avaient tous des petites maisons ; mais il apprit que ces réduits étaient aussi à l’usage de quelques sénateurs. Il en fut étonné. « Que fait-on là ? se dit-il à lui-même (car il conservera dans ce volume[1] l’habitude de parler seul, qu’il a contractée dans le premier). Il semble qu’un homme, à qui je confie la tranquillité, la fortune, la liberté et la vie de mon peuple, ne doit point avoir de petite maison. Mais la petite maison d’un sénateur est peut-être autre chose que celle d’un petit-maître… Un magistrat devant qui l’on discute les intérêts les plus grands de mes sujets, et qui tient en ses mains l’urne fatale d’où il tirera le sort de la veuve, oublierait la dignité de son état, l’importance de son ministère ; et tandis que Cochin fatigue vainement ses poumons à porter jusqu’à ses oreilles les cris de l’orphelin, il méditerait dans sa tête les sujets galants qui doivent orner les

  1. Ce chapitre commençait le second volume de l’édition originale.