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— Sultan, répondit Ziguezague, j’attends que Votre Hautesse commence…

— Ma jument, dit Mangogul, vous dictera pour cette fois ; écrivez. »

Ziguezague, que cet ordre humiliait trop, à son avis, prit la liberté de représenter au sultan qu’il se tiendrait toujours fort honoré d’être son secrétaire, mais non celui de sa jument…

« Écrivez, vous dis-je, lui réitéra le sultan.

— Prince, je ne puis, répliqua Ziguezague ; je ne sais point l’orthographe de ces sortes de mots…

— Écrivez toujours, dit encore le sultan…

— Je suis au désespoir de désobéir à Votre Hautesse, ajouta Ziguezague ; mais…

— Mais, vous êtes un faquin, interrompit Mangogul irrité d’un refus si déplacé ; sortez de mon palais, et n’y reparaissez point. »

Le pauvre Ziguezague disparut, instruit, par son expérience, qu’un homme de cœur ne doit point entrer chez la plupart des grands, ou doit laisser ses sentiments à la porte. On appela son second. C’était un Provençal franc, honnête, mais surtout désintéressé. Il vola où il crut que son devoir et sa fortune l’appelaient, fit un profond salut au sultan, un plus profond à sa jument et écrivit tout ce qu’il plut à la cavale de dicter.

On trouvera bon que je renvoie ceux qui seront curieux de son discours aux archives du Congo. Le prince en fit distribuer sur-le-champ des copies à tous ses interprètes et professeurs en langues étrangères, tant anciennes que modernes. L’un dit que c’était une scène de quelque vieille tragédie grecque qui lui paraissait fort touchante ; un autre parvint, à force de tête, à découvrir que c’était un fragment important de la théologie des Égyptiens ; celui-ci prétendait que c’était l’exorde de l’oraison funèbre d’Annibal en carthaginois ; celui-là assura que la pièce était écrite en chinois, et que c’était une prière fort dévote à Confucius.

Tandis que les érudits impatientaient le sultan avec leurs savantes conjectures, il se rappela les Voyages de Gulliver, et ne douta point qu’un homme qui avait séjourné aussi longtemps que cet Anglais dans une île où les chevaux ont un gouverne-