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à-vis de ces dames, je compte que vous me saurez gré de leur évasion. Elles vous donnaient plus d’embarras que de plaisir. »

L’auteur africain nous apprend que la mémoire de cet essai s’est conservée dans le Congo, et que c’est par cette raison que le gouvernement y est si réservé à accorder des pensions ; mais ce ne fut pas le seul bon effet de l’anneau de Cucufa, comme on va voir dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XXVIII.

douzième essai de l’anneau.

questions de droits.

Le viol était sévèrement puni dans le Congo : or, il en arriva un très-célèbre sous le règne de Mangogul. Ce prince, à son avènement à la couronne, avait juré, comme tous ses prédécesseurs, de ne point accorder de pardon pour ce crime ; mais quelque sévères que soient les lois, elles n’arrêtent guère ceux qu’un grand intérêt pousse à les enfreindre. Le coupable était condamné à perdre la partie de lui-même par laquelle il avait péché, opération cruelle dont il périssait ordinairement ; celui qui la faisait y prenant moins de précaution que Petit[1].

Kersael, jeune homme de naissance, languissait depuis six mois au fond d’un cachot, dans l’attente de ce supplice. Fatmé, femme jeune et jolie, était sa Lucrèce et son accusatrice. Ils avaient été fort bien ensemble ; personne ne l’ignorait : l’indulgent époux de Fatmé n’y trouvait point à redire. Ainsi le public aurait eu mauvaise grâce de se mêler de leurs affaires.

Après deux ans d’un commerce tranquille, soit inconstance, soit dégoût, Kersael s’attacha à une danseuse de l’opéra de Banza, et négligea Fatmé, sans toutefois rompre ouvertement avec elle. Il voulait que sa retraite fût décente, ce qui l’obligeait à fréquenter encore dans la maison. Fatmé, furieuse de cet abandon, médita sa vengeance, et profita de ce reste d’assiduités pour perdre son infidèle.

  1. Petit (Jean-Louis), chirurgien célèbre, né à Paris en 1674, mort le 20 avril 1750. (Br.) — Il avait inventé un procédé de ligature au moyen duquel il combattait victorieusement les hémorragies consécutives aux opérations.