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de mon grenier pour le recevoir. Arrivé sous mes tuiles, il se serait assis, et je serais resté debout ; je ne lui aurais fait aucune question ; j’aurais répondu le plus simplement et le plus laconiquement à ses demandes. Si nous avions été d’avis différent, je me serais tu, à moins qu’il n’eût exigé que je m’expliquasse ; alors j’aurais parlé sans opiniâtreté et sans chaleur, à moins que la chose n’eût touché de fort près au bonheur d’une multitude d’hommes ; car alors qui peut répondre de soi ? Il se serait levé, et je n’aurais pas manqué de l’accompagner jusqu’au bas de mon escalier.

Certes, je n’aurais fait aucun de ces frais pour le comte de Creutz, son ministre.

Quoique je sois honnête, même avec les valets, c’est une sorte d’honnêteté qui diffère de celle que j’observe avec les maîtres ; avec les maîtres, s’ils sont mes amis, ou s’ils me sont indifférents ; avec les maîtres qui m’ont accordé de l’estime et de l’amitié, s’ils sont seuls ou s’ils ont compagnie. Laisser apercevoir le degré d’intimité est souvent une indiscrétion très-déplacée.

J’ai le son de la voix aussi haut et l’expression aussi libre qu’il me plaît avec mon égal ; pourvu qu’il ne m’échappe rien qui le blesse, tout est bien. Il n’en sera pas ainsi avec le personnage qui occupe dans la société un rang supérieur au mien, avec l’inconnu, avec l’enfant, avec le vieillard. Je me permettrai avec un homme du monde une plaisanterie que je m’interdirai avec un ecclésiastique. Je ne plaisanterai jamais avec un grand. La plaisanterie est un commencement de familiarité que je ne veux ni accorder ni prendre avec des hommes qui en abusent si facilement et qu’il est si facile d’offenser. Il n’y a guère que ceux qu’ils dédaignent qui soient à l’abri de cet inconvénient. Malheur à ceux qui conservent la faveur des grands et qui ont avec eux leur franc parler ! Ce sont pour eux des hommes sans caractère et sans conséquence.

Si jamais j’ai à m’entretenir avec le vicaire de la paroisse, mon curé et mon archevêque, et que j’écrive mon discours, je n’aurai pas besoin de mettre en tête, voici ce que j’ai dit à l’un et à l’autre et au dernier ; on ne s’y trompera pas, et je n’aurai manqué d’honnêteté à aucun d’eux.

Je ne pense point que la culture des lettres, appartenant