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écouterai de toutes mes oreilles. Ce doit être quelque chose de curieux, que les essais de morale d’un sultan de votre âge !

— Le système d’Orcotome est extravagant, n’en déplaise au célèbre Hiragu[1] son confrère ; cependant je trouve du sens dans les réponses qu’il a faites aux objections qui lui ont été proposées. Si j’accordais une âme aux femmes, je supposerais volontiers, avec lui, que les bijoux ont parlé de tout temps, bas à la vérité, et que l’effet de l’anneau du génie Cucufa se réduit à leur hausser le ton. Cela posé, rien ne serait plus facile que de vous définir toutes tant que vous êtes :

« La femme sage, par exemple, serait celle dont le bijou est muet, ou n’en est pas écouté.

« La prude, celle qui fait semblant de ne pas écouter son bijou.

« La galante, celle à qui le bijou demande beaucoup, et qui lui accorde trop.

« La voluptueuse, celle qui écoute son bijou avec complaisance.

« La courtisane, celle à qui son bijou demande à tout moment, et qui ne lui refuse rien.

« La coquette, celle dont le bijou est muet, ou n’en est point écouté ; mais qui fait espérer à tous les hommes qui l’approchent, que son bijou parlera quelque jour, et qu’elle pourra ne pas faire la sourde oreille.

« Eh bien ! délices de mon âme, que pensez-vous de mes définitions ?

— Je pense, dit la favorite, que Votre Hautesse a oublié la femme tendre.

— Si je n’en ai point parlé, répondit le sultan, c’est que je ne sais pas encore bien ce que c’est, et que d’habiles gens prétendent que le mot tendre, pris sans aucun rapport au bijou, est vide de sens.

— Comment ! vide de sens ? s’écria Mirzoza. Quoi ! il n’y a point de milieu ; et il faut absolument qu’une femme soit prude, galante, coquette, voluptueuse ou libertine ?

— Délices de mon âme, dit le sultan, je suis prêt à convenir

  1. Si, comme nous le pensons, Orcotome est Ferrein, Hiragu serait un autre médecin, Montagnat, qui, dans plusieurs brochures adressées à Burlon et à Bertin (1745, 1746), défendit le système de Ferrein sur le mécanisme de la voix.