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jour. Elle avait déjà sonné : on venait d’ouvrir ses rideaux ; et ses femmes se disposaient à la lever. Le sultan regarda beaucoup autour d’elle, et ne lui voyant point de chien, il lui demanda la raison de cette singularité.

« C’est, lui répondit Mirzoza, que vous supposez que je suis singulière en cela, et qu’il n’en est rien.

— Je vous assure, répliqua le sultan, que je vois des chiens à toutes les femmes de ma cour, et que vous m’obligeriez de m’apprendre pourquoi elles en ont, ou pourquoi vous n’en avez point. La plupart d’entre elles en ont même plusieurs ; et il n’y en a pas une qui ne prodigue au sien des caresses qu’elle semble n’accorder qu’avec peine à son amant. Par où ces bêtes méritent-elles la préférence ? qu’en fait-on ? »

Mirzoza ne savait que répondre à ces questions. « Mais, lui disait-elle, on a un chien comme un perroquet ou un serin. Il est peut-être ridicule de s’attacher aux animaux ; mais il n’est pas étrange qu’on en ait : ils amusent quelquefois, et ne nuisent jamais. Si on leur fait des caresses, c’est qu’elles sont sans conséquence. D’ailleurs, croyez-vous, prince, qu’un amant se contentât d’un baiser tel qu’une femme le donne à son gredin ?

— Sans doute, je le crois, dit le sultan. Il faudrait, parbleu, qu’il fût bien difficile, s’il n’en était pas satisfait. »

Une des femmes de Mirzoza, qui avait gagné l’affection du sultan et de la favorite par de la douceur, des talents et du zèle, dit : « Ces animaux sont incommodes et malpropres ; ils tachent les habits, gâtent les meubles, arrachent les dentelles, et font en un quart d’heure plus de dégât qu’il n’en faudrait pour attirer la disgrâce de la femme de chambre la plus fidèle ; cependant on les garde.

— Quoique, selon madame, ils ne soient bons qu’à cela ; ajouta le sultan.

— Prince, répondit Mirzoza, nous tenons à nos fantaisies ; et il faut que, d’avoir un gredin, c’en soit une, telle que nous en avons beaucoup d’autres, qui ne seraient plus des fantaisies, si l’on en pouvait rendre raison. Le règne des singes est passé ; les perruches se soutiennent encore. Les chiens étaient tombés ; les voilà qui se relèvent. Les écureuils ont eu leur temps ; et il en est des animaux comme il en a été successivement de l’italien,