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charmes de la proie semèrent la discorde entre les prédateurs. On tira les cimeterres et trente à quarante hommes furent massacrés en un clin d’œil. Le bruit de ce désordre parvint jusqu’à l’officier général. Il accourut, calma ces furieux, et nous mit en séquestre sous une tente, où nous n’avions pas eu le temps de nous reconnaître, qu’il vint solliciter le prix de ses services. « Malheur aux vaincus ! » s’écria Thélis en se renversant sur un lit ; et toute la nuit fut employée à ressentir son infortune.

« Nous nous trouvâmes le lendemain sur le rivage du Niger. Une saïque nous y attendait, et nous partîmes, ma maîtresse et moi, pour être présentés à l’empereur de Benin. Dans ce voyage de vingt-quatre heures, le capitaine du bâtiment s’offrit à Thélis, fut accepté, et je connus par expérience que le service de mer était infiniment plus vif que celui de terre. Nous vîmes l’empereur de Benin ; il était jeune, ardent, voluptueux : Thélis fit encore sa conquête ; mais celles de son mari l’effrayèrent. Il demanda la paix, et il ne lui en coûta, pour l’obtenir, que trois provinces et ma rançon.

« Autres temps, autres fatigues. Sambuco apprit, je ne sais comment, la raison des malheurs de la campagne précédente ; et pendant celle-ci, il me mit en dépôt sur la frontière chez un chef de bramines de ses amis. L’homme saint ne se défendit guère ; il succomba aux agaceries de Thélis, et en moins de six mois, j’engloutis ses revenus immenses, trois étangs et deux bois de haute futaie. »

— Miséricorde ! s’écria Mangogul, trois étangs et deux bois ! quel appétit pour un bijou !

« C’est une bagatelle, reprit celui-ci. La paix se fit, et Thélis suivit son époux en ambassade au Monomotapa. Elle jouait et perdait fort bien cent mille sequins eu un jour, que je regagnais en une heure. Un ministre, dont les affaires de son maître ne remplissaient pas tous les moments, me tomba sous la dent, et je lui dévorai en trois ou quatre mois une fort belle terre, le château tout meublé, le parc, un équipage avec les petits chevaux pies. Une faveur de quatre minutes, mais bien filée, nous valait des fêtes, des présents, des pierreries, et l’aveugle ou politique Sambuco ne nous tracassait point.

« Je ne mettrai point en ligne de compte, ajouta le bijou, les marquisats, les comtés, les titres, les armoiries, etc., qui se