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vérité, mon ami, que vous ayez pris mesure sur la jument du sultan.

— oui, dit nonchalamment Sophie, après les avoir considérées et compassées avec les doigts : vous avez raison, et il n’y a que la jument du sultan ou la vieille Rimosa à qui elles puissent convenir…

— Je vous jure, mesdames, reprit Frénicol, que c’est la grandeur ordinaire ; et que Zelmaïde, Zyrphile, Amiane, Zulique et cent autres en ont pris de pareilles…

— Cela est impossible, répliqua Zélide.

— Cela est pourtant, repartit Frénicol : mais toutes ont dit comme vous ; et, comme elles, si vous voulez vous détromper, vous le pouvez à l’essai…

— Monsieur Frénicol en dira tout ce qu’il voudra ; mais il ne me persuadera jamais que cela me convienne, dit Zélide.

— Ni à moi, dit Sophie. Qu’il nous en montre d’autres, s’il en a. »

Frénicol, qui avait éprouvé plusieurs fois qu’on ne convertissait pas les femmes sur cet article, leur présenta des muselières de treize ans.

« Ah ! voilà ce qu’il nous faut ! s’écrièrent-elles toutes deux en même temps.

— Je le souhaite, répondit tout bas Frénicol.

— Combien les vendez-vous ? dit Zélide…

— Madame, ce n’est que dix ducats…

— Dix ducats ! vous n’y pensez pas, Frénicol…

— Madame, c’est en conscience…

— Vous nous faites payer la nouveauté…

— Je vous jure, mesdames, que cet argent troqué…

— Il est vrai qu’elles sont joliment travaillées ; mais dix ducats, c’est une somme…

— Je n’en rabattrai rien.

— Nous irons chez Éolipile.

— Vous le pouvez, mesdames : mais il y a ouvrier et ouvrier, muselières et muselières. »

Frénicol tint ferme, et Zélide en passa par là. Elle paya les deux muselières ; et le bijoutier s’en retourna, bien persuadé qu’elles leur seraient trop courtes et qu’elles ne tarderaient pas à lui revenir pour le quart de ce qu’il les avait vendues. Il se