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— Eh bien ! interrompit Cyclophile, je vais m’expliquer. Quoi ! depuis quinze jours que vous habitez parmi nous, vous ignorez encore que les bijoux mâles et féminins sont ici de différentes figures ? à quoi donc avez-vous employé votre temps ? Ces bijoux sont de toute éternité destinés à s’agencer les uns avec les autres ; un bijou féminin en écrou est prédestiné à un bijou mâle fait en vis. Entendez-vous ?

— J’entends, lui dis-je ; cette conformité de figure peut avoir son usage jusqu’à un certain point : mais je ne la crois pas suffisante pour assurer la fidélité conjugale.

— Que désirez-vous de plus ?

— Je désirerais que, dans une contrée où tout se règle par des lois géométriques, on eût eu quelque égard au rapport de chaleur entre les conjoints. Quoi ! vous voulez qu’une brune de dix-huit ans, vive comme un petit démon, s’en tienne strictement à un vieillard sexagénaire et glacé ! Cela ne sera pas, ce vieillard eût-il son bijou masculin en vis sans fin…

— Vous avez de la pénétration, me dit Cyclophile. Sachez donc que nous y avons pourvu…

— Et comment cela ?…

— Par une longue suite d’observations sur des cocus bien constatés…

— Et à quoi vous ont mené ces observations ?

— À déterminer le rapport nécessaire de chaleur entre deux époux…

— Et ces rapports connus ?

— Ces rapports connus, on gradua des thermomètres applicables aux hommes et aux femmes. Leur figure n’est pas la même ; la base des thermomètres féminins ressemble à un bijou masculin d’environ huit pouces de long sur un pouce et demi de diamètre ; et celle des thermomètres masculins, à la partie supérieure d’un flacon qui aurait précisément en concavité les mêmes dimensions. Les voilà, me dit-il en m’introduisant dans le temple, ces ingénieuses machines dont vous verrez tout à l’heure l’effet ; car le concours du peuple et la présence des sacrificateurs m’annoncent le moment des expériences sacrées. »

Nous perçâmes la foule avec peine, et nous arrivâmes dans le sanctuaire où il n’y avait pour autels que deux lits de damas