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et de moi. On sait bien qu’il faut de là à là, un intervalle ; mais on ne l’a jamais pratiqué de cette étendue. Trop est trop. Vous le voulez ?… »

la dame.

« Eh ! oui, je le veux, et finissons… »

« À l’instant maître Anofore prend son crayon, marque sur les fesses de la dame des lignes correspondantes à celles qu’il avait tirées sur le ruban ; il forme son trait carré, en haussant les épaules, et murmurant tout bas : « Quelle mine cela aura ! mais c’est sa fantaisie. » Il ressaisit son vilebrequin, et dit : « Madame le veut là ?

« — Oui, là ; allez donc…

« — Allons, madame.

« — Qu’y a-t-il encore ?

« — Ce qu’il y a ? c’est que cela ne se peut.

« — Et pourquoi, s’il vous plaît ?

« — Pourquoi ? c’est que vous tremblez, et que vous serrez les fesses ; c’est que j’ai perdu de vue mon trait carré, et que je percerai trop haut ou trop bas. Allons, madame, un peu de courage.

« — Cela vous est facile à dire ; montrez-moi votre mèche ; miséricorde !

« — Je vous jure que c’est la plus petite de ma boutique. Tandis que nous parlons j’en aurais déjà percé une demi-douzaine. Allons, madame, desserrez ; fort bien ; encore un peu ; à merveille ; encore, encore. » Cependant je voyais le menuisier narquois approcher tout doucement son vilebrequin. Il allait… lorsqu’une fureur mêlée de pitié s’empare de moi. Je me débats ; je veux courir au secours de la patiente : mais je me sens garrotté par les deux bras, et dans l’impossibilité de remuer. Je crie au menuisier : « Infâme, coquin, arrête. » Mon cri est accompagné d’un si violent effort, que les liens qui m’attachaient en sont rompus. Je m’élance sur le menuisier : je le saisis à la gorge. Le menuisier me dit : « Qui es-tu ? à qui en veux-tu ? est-ce que tu ne vois pas qu’elle n’a point de cul ? Connais-moi ; je suis le grand Anofore ; c’est moi qui fais des culs à ceux qui n’en ont point. Il faut que je lui en fasse un, c’est la volonté de celui qui m’envoie ; et après moi, il en viendra un