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faisaient pas aisément devant un aussi grand nombre de personnes ; et il avait raison.

Mangogul indigné se leva, partit, et reparut en un clin d’œil chez la sultane favorite.

« Eh bien ! prince, lui dit-elle en l’apercevant, qui l’emporte de vous ou d’Orcotome ? car ses bijoux ont fait merveille, il n’en faut pas douter. »

Le sultan fit quelques tours en long et en large, sans lui répondre.

« Mais, reprit la favorite, Votre Hautesse me paraît mécontente.

— Ah ! madame, répliqua le sultan, la hardiesse de cet Orcotome est incomparable. Qu’on ne m’en parle plus… Que direz-vous, races futures, lorsque vous apprendrez que le grand Mangogul faisait cent mille écus de pension à de pareilles gens, tandis que de braves officiers qui avaient arrosé de leur sang les lauriers qui lui ceignaient le front, en étaient réduits à quatre cents livres de rente ?… Ah ! ventrebleu, j’enrage ! J’ai pris de l’humeur pour un mois. »

En cet endroit Mangogul se tut, et continua de se promener dans l’appartement de la favorite. Il avait la tête baissée ; il allait, venait, s’arrêtait et frappait de temps en temps du pied. Il s’assit un instant, se leva brusquement, prit congé de Mirzoza, oublia de la baiser, et se retira dans son appartement.

L’auteur africain qui s’est immortalisé par l’histoire des hauts et merveilleux faits d’Erguebzed et de Mangogul, continue en ces termes :

À la mauvaise humeur de Mangogul, on crut qu’il allait bannir tous les savants de son royaume. Point du tout. Le lendemain il se leva gai, fit une course de bague dans la matinée, soupa le soir avec ses favoris et la Mirzoza sous une magnifique tente dressée dans les jardins du sérail, et ne parut jamais moins occupé d’affaires d’État.

Les esprits chagrins, les frondeurs du Congo et les nouvellistes de Banza ne manquèrent pas de reprendre cette conduite. Et que ne reprennent pas ces gens-là ? Est-ce là, disaient-ils dans les promenades et les cafés, est-ce là gouverner un État ! avoir la lance au poing tout le jour, et passer les nuits à table !