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CHAPITRE VIII

troisième essai de l’anneau.

le petit souper.

On servit, on soupa, on s’amusa d’abord aux dépens de Monima : toutes les femmes accusaient unanimement son bijou d’avoir parlé le premier ; et elle aurait succombé sous cette ligue, si le sultan n’eût pris sa défense. « Je ne prétends point, disait-il, que Monima soit moins galante que Zelmaïde, mais je crois son bijou plus discret. D’ailleurs, lorsque la bouche et le bijou d’une femme se contredisent, lequel croire ?

— Seigneur, répondit un courtisan, j’ignore ce que les bijoux diront par la suite ; mais jusqu’à présent ils ne se sont expliqués que sur un chapitre qui leur est très familier. Tant qu’ils auront la prudence de ne parler que de ce qu’ils entendent, je les croirai comme des oracles.

— On pourrait, dit Mirzoza, en consulter de plus sûrs.

— Madame, reprit Mangogul, quel intérêt auraient ceux-ci de déguiser la vérité ? Il n’y aurait qu’une chimère d’honneur qui pût les y porter ; mais un bijou n’a point de ces chimères : ce n’est pas là le lieu des préjugés.

— Une chimère d’honneur ! dit Mirzoza ; des préjugés ! si Votre Hautesse était exposée aux mêmes inconvénients que nous, elle sentirait que ce qui intéresse la vertu n’est rien moins que chimérique. »

Toutes les dames, enhardies par la réponse de la sultane, soutinrent qu’il était superflu de les mettre à de certaines épreuves ; et Mangogul qu’au moins ces épreuves étaient presque toujours dangereuses. Ces propos conduisirent au vin de Champagne ; on s’y livra, on se mit en pointe ; et les bijoux s’échauffèrent : c’était l’instant où Mangogul s’était proposé de recommencer ses malices. Il tourna sa bague sur une jeune femme fort enjouée, assise assez proche de lui et placée en face de son époux ; et l’on entendit s’élever de dessous la table un bruit plaintif, une voix faible et languissante qui disait :