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mathématiques, d’histoire, maîtres en fait d’armes, etc. Grâce aux heureuses dispositions de Mangogul, et aux leçons continuelles de ses maîtres, il n’ignora rien de ce qu’un jeune prince a coutume d’apprendre dans les quinze premières années de sa vie, et sut, à l’âge de vingt ans, boire, manger et dormir aussi parfaitement qu’aucun potentat de son âge.

Erguebzed, à qui le poids des années commençait à faire sentir celui de la couronne, las de tenir les rênes de l’empire, effrayé des troubles qui le menaçaient, plein de confiance dans les qualités supérieures de Mangogul, et pressé par des sentiments de religion, pronostics certains de la mort prochaine, ou de l’imbécillité des grands, descendit du trône pour y placer son fils ; et ce bon prince crut devoir expier dans la retraite les crimes de l’administration la plus juste dont il fût mémoire dans les annales du Congo.

Ce fut donc l’an du monde 1,500,000,003,200,001, de l’empire du Congo le 3,900,000,700,03, que commença le règne de Mangogul, le 1,234,500 de sa race en ligne directe. Des conférences fréquentes avec ses ministres, des guerres à soutenir, et le maniement des affaires, l’instruisirent en fort peu de temps de ce qui lui restait à savoir au sortir des mains de ses pédagogues ; et c’était quelque chose.

Cependant Mangogul acquit en moins de dix années la réputation de grand homme. Il gagna des batailles, força des villes, agrandit son empire, pacifia ses provinces, répara le désordre de ses finances, fit refleurir les sciences et les arts, éleva des édifices, s’immortalisa par d’utiles établissements, raffermit et corrigea la législation, institua même des académies ; et, ce que son université ne put jamais comprendre, il acheva tout cela sans savoir un seul mot de latin.

Mangogul ne fut pas moins aimable dans son sérail que grand sur le trône. Il ne s’avisa point de régler sa conduite sur les usages ridicules de son pays. Il brisa les portes du palais habité par ses femmes ; il en chassa ces gardes injurieux de leur vertu ; il s’en fia prudemment à elles-mêmes de leur fidélité : on entrait aussi librement dans leurs appartements que dans aucun couvent de chanoinesses de Flandres ; et on y était sans doute aussi sage. Le bon sultan que ce fut ! il n’eut jamais de pareils que dans quelques romans français. Il était