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pour en faire un sujet heureux et l’usurpateur du pays qu’arrose le Jourdain ; et abandonne Ésaü qu’il déteste, pour en faire une victime de sa colère.

Dieu bon, Dieu juste, aimez Jacob, vous le pouvez, sans donner atteinte à votre existence. Mais n’est-ce pas déjà trop qu’Ésaü naisse criminel à vos yeux, sans ajouter encore à son malheur une haine particulière qu’il n’a point méritée ? Attendez qu’il vive, qu’il pense, qu’il puisse pécher ; alors, qu’il soit en butte à vos coups, on jugera de ses crimes par les maux dont vous l’accablerez. Mais il n’est pas encore né, il n’a pas encore pu vous offenser. C’est trop parler. Isaac va expirer. « Levez-vous, mon père, dit Jacob à Isaac, je suis votre fils bien-aimé, votre fils Ésaü, prenez, mangez le gibier que je vous ai préparé et donnez-moi votre bénédiction. — Ce sont bien les mains d’Ésaü, dit Isaac, mais c’est la voix de Jacob. »

Ne craignez rien, Isaac, bénissez cet imposteur, ce fourbe qui veut s’élever sur la perte de son frère. Votre Dieu qui le conduit auprès de vous, ratifiera votre bénédiction, le comblera de gloire et le fera père d’un grand peuple. Que vous êtes heureux, Jacob ! si j’étais maître du tonnerre, je vous écraserais d’un coup de foudre. Mais la sentence est prononcée. L’amitié du Très-Haut, la rosée du ciel, la graisse de la terre, seront votre partage. Vos descendants égaleront le nombre des étoiles du firmament. Votre nom sera l’effroi de toutes les nations, et l’infortuné Ésaü qu’un tendre respect a toujours rendu attentif aux ordres de son père, qui s’est fait un plaisir de lui obéir et un bonheur de lui plaire, Ésaü sera l’esclave de son frère et l’ennemi éternel de son Dieu.

Mais quel spectacle affreux s’offre à mes yeux ! Est-ce un Dieu qui parle ou qui agit ? Sont-ce des hommes que l’on extermine ? Le ciel va-t-il se confondre avec la terre ? L’univers va-t-il rentrer dans le néant ? Dieu veut écraser l’Égypte ; il lui faut un prétexte, il en trouve. « Allez, dit Dieu à Moïse : dites à Pharaon, je suis celui qui est, Ego sum qui sum. Je vous ordonne de laisser à mon peuple la liberté de sortir de vos États pour venir sacrifier dans le désert. Hommes, femmes, enfants, vieillards, troupeaux, je veux tout, et veux être obéi. Pharaon ne vous écoutera point ; sa sentence est prononcée, il faut qu’il périsse. Je veux déployer mon bras redoutable et faire fondre