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l’injuste tyran. Ne tente point d’acquérir à force de honte, d’avanies et de remords le fatal avantage d’opprimer tes semblables ; ne sois point le complice mercenaire des oppresseurs de ton pays ; ils sont forcés de rougir, dès qu’ils rencontrent tes yeux.

« Car, ne t’y trompe pas, c’est moi qui punis, plus sûrement que les dieux, tous les crimes de la terre ; le méchant peut échapper aux lois des hommes, jamais il n’échappe aux miennes. C’est moi qui ai formé et les cœurs et les corps des mortels ; c’est moi qui ai fixé les lois qui les gouvernent. Si tu te livres à des voluptés infâmes, les compagnons de tes débauches t’applaudiront, et moi je te punirai par des infirmités cruelles qui termineront une vie honteuse et méprisée. Si tu te livres à l’intempérance, les lois des hommes ne te puniront point, mais je te punirai en abrégeant tes jours. Si tu es vicieux, tes habitudes funestes retomberont sur ta tête. Ces princes, ces divinités terrestres, que leur puissance met au-dessus des lois des hommes, sont forcés de frémir sous les miennes. C’est moi qui les châtie ; c’est moi qui les remplis de soupçons, de terreurs, d’inquiétudes ; c’est moi qui les fais trembler au nom seul de l’auguste vérité ; c’est moi qui, même dans la foule de ces grands qui les entourent, leur fais sentir les aiguillons empoisonnés du chagrin et de la honte. C’est moi qui répands l’ennui sur leurs âmes engourdies pour les punir de l’abus qu’ils ont fait de mes dons. C’est moi qui suis la justice incréée, éternelle ; c’est moi qui, sans acception des personnes, sais proportionner le châtiment à la faute, le malheur à la dépravation. Les lois de l’homme ne sont justes que quand elles sont conformes aux miennes ; leurs jugements ne sont raisonnables que quand je les ai dictés ; mes lois seules sont immuables, universelles, irréformables, faites pour régler en tous lieux, en tout temps le sort de la race humaine.

« Si tu doutais de mon autorité et du pouvoir irrésistible que j’ai sur les mortels ; considère les vengeances que j’exerce sur tous ceux qui résistent à mes décrets. Descends au fond du cœur de ces criminels divers dont le visage content couvre une âme déchirée. Ne vois-tu pas l’ambitieux tourmenté nuit et jour d’une ardeur que rien ne peut éteindre ? Ne vois-tu pas le conquérant triompher avec remords et régner tristement sur des ruines fumantes, sur des solitudes incultes et dévastées, sur des