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balbutie ; que l’adolescent s’abandonne à la dissipation, au jeu et à l’amour ; que l’homme fait soit ambitieux ; que le vieillard reconnaisse enfin la vanité de toutes les importantes bagatelles qui ont fait l’agrément ou le supplice de sa vie, et qu’il en fasse à la jeunesse des leçons d’humeur qui ne sont pas écoutées : Vox clamantis in deserto. J’en appelle à l’auteur même de ces prétendus Principes philosophiques ; qu’il nous dise si, à l’exception du temps que sa lecture a dérobé à d’autres sottises, il a appris ou de ses propres réflexions ou des réflexions d’autrui qu’il a compilées, à faire un meilleur usage du reste. On est bien ou mal né. On se trouve, en entrant dans le monde, jeté en bonne ou mauvaise compagnie. On a des goûts honnêtes ou dissolus. On est un homme d’esprit ou un sot. On a du bon sens ou l’on est un insensé. On a de la sensibilité ou l’on est une pierre. On est heureux ou malheureux. La nature nous dispose à un rôle ou à un autre. Très-souvent les circonstances nous condamnent à celui pour lequel nous n’étions pas faits, et sans avoir dit avec le stoïcien : Ô destin ! conduis-moi où tu voudras, me voilà prêt à te suivre ! nous n’en sommes ni plus ni moins conduits. Un jeune impie, vêtu d’un habit d’écarlate qu’il portait pour la première fois, est forcé par un orage d’entrer dans l’église où il n’avait pas mis les pieds depuis cinq à six ans. Il s’assied ; une fille de joie prend une chaise à côté de lui. Il la suit chez elle ; elle lui donne la mauvaise santé ; il en meurt. C’était un fils unique ; et voilà son père, sa mère et toute sa famille plongés dans la désolation. Une jeune fille, dévote comme un petit ange, dans le même instant s’en allait à la messe. Elle trouve sur son chemin un petit voisin de quinze à seize ans, qu’elle avait lorgné quelquefois, et qui ne manquait pas de goût pour elle. Il la prend sous le bras ; l’orage les força l’un et l’autre à chercher un asile ; mais où ? dans la chambre du petit voisin. Je ne sais comment cela se fit, mais elle en sortit grosse. Voilà sa mère en fureur. Elle accouche, et puis on la claquemure pour le reste de sa vie dans un cloître. C’est contre ces tours du sort que les Maximes de La Rochefoucauld et tous les livres du monde ne peuvent rien. Si jeunesse savait, et si vieillesse pouvait ! Il y a longtemps qu’on l’a dit pour la première fois, et cela sera toujours vrai ; et l’art de donner du pouvoir à celui qui s’en va, ne me paraît pas plus difficile que l’art de donner du