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la nature humaine, comme ces gros recueils d’expériences physiques qui attendent quelque principe général qui les lie, et sans lequel ce serait assez peu de chose. Ce sont les matériaux d’un grand édifice qui s’achèvera ou ne s’achèvera pas ; et les auteurs, la pioche à la main, vont toujours creusant la carrière. Allons, mes amis, piochez, piochez toujours : c’est fort bien fait à vous.

Parmi ces spéculations et maximes de M. de Bignicourt, il y en a qui ont tout le mérite qu’elles peuvent avoir, celui d’être bien écrites, d’être vraies et très-solidement pensées. En voici quelques-unes.

« Ne reprochez pas aux hommes d’avoir trop d’amour-propre ; leur défaut est souvent de n’en avoir pas assez. »

« Il y a plus d’avantage à recueillir les petits mots qui échappent au hasard aux souverains et à leurs ministres, qu’à tenir registre de leurs grands apophthegmes. »

« Le plus impitoyable des critiques est un auteur méprisé. »

« Il en est du courtisan comme de ces malades qu’on ne saurait sonder sans les faire souffrir cruellement. »

« Le penchant à la médisance est un attentat contre le privilège des femmes. »

« Les corps sont vindicatifs, injustes, intéressés, ont toutes sortes de torts, quoiqu’ils ne soient composés que d’honnêtes gens ; parce que ces vices de corps sont avantageux à tous, et qu’on n’en peut accuser personne ; et c’est là ce qui décèle particulièrement la perversité de la nature humaine. »

« Il est une tristesse délicieuse qui ne peut être que le partage d’un cœur également tendre et délicat. »

« Les adversités opiniâtres de la sagesse, et les succès constants de la folie, montrent bien la brièveté de notre durée. Accordez de longs jours à l’homme sage et à l’insensé, donnez à la chance le temps de tourner, et le malheur et le bonheur iront où ils doivent aller. »

« La gaieté s’allie difficilement avec la profondeur de l’esprit. »

Je transcris les premières maximes qui se présentent ; il y en a de meilleures ; mais celles-ci suffisent pour juger de l’esprit et du style de l’auteur.