Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de celle d’un homme à un homme et d’un théologien à un philosophe.

Il faudrait commencer ou finir l’éducation scientifique du prêtre par ce traité, comme on voudra, et lui faire succéder de bonnes leçons sur la tolérance.

Un jacobin appelé Melchior Canus[1], a laissé des Lieux théologiques, ou de cette singulière logique, un traité qui a conservé de la réputation jusqu’à ce jour.

C’est à l’archevêque Platon à revoir toute cette partie de l’éducation publique, c’est à lui à en concilier la forme et l’objet avec les usages, les lois, les mœurs et les besoins de l’empire de Russie, et c’est à Sa Majesté Impériale à rectifier ce qu’un zèle de profession, qui domine secrètement les hommes les plus instruits et les mieux intentionnés, pourrait suggérer de dangereux ou d’irrégulier à l’archevêque Platon.

Au demeurant, je supplie Sa Majesté Impériale de considérer qu’il ne faut point de prêtres, ou qu’il faut de bons prêtres, c’est-à-dire instruits, édifiants et paisibles ; que s’il est difficile de se passer de prêtres partout où il y a une religion, il est aisé de les avoir paisibles s’ils sont stipendiés par l’État, et menacés, à la moindre faute, d’être chassés de leurs postes, privés de leurs fonctions et de leurs honoraires et jetés dans l’indigence.

Le gros d’une nation restera toujours ignorant, peureux et conséquemment superstitieux. L’athéisme peut être la doctrine d’une petite école, mais jamais celle d’un grand nombre de citoyens, encore moins celle d’une nation un peu civilisée. La croyance à l’existence de Dieu, ou la vieille souche, restera donc toujours. Or qui sait ce que cette souche abandonnée à sa libre végétation peut produire de monstrueux ? Je ne conserverais donc pas des prêtres comme des dépositaires de vérités, mais comme des obstacles à des erreurs possibles et plus monstrueuses encore ; non comme les précepteurs des gens sensés, mais comme les gardiens des fous ; et leurs églises, je les laisserais subsister comme l’asile ou les petites-maisons d’une certaine espèce d’imbéciles qui pourraient devenir furieux si on les négligeait entièrement.

  1. Cano, évêque espagnol, d’abord dominicain, auteur de Locorum theologicorum lib. XII ; Salamanquo 1562, et Vienne, 1754.