Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêtre, comme celle du moindre des esclaves ; tous sont égaux dans l’enceinte où il préside, l’église. Dans notre religion et la religion de Sa Majesté Impériale, le chef de la société vient se confesser et rougir des fautes qu’il a commises, et le prêtre l’absout ou le lie. Grandes, petites circonstances, affaires publiques, affaires domestiques, en tout il dispose ouvertement ou clandestinement des esprits, selon sa pusillanimité ou son audace. Son état l’incline à la dureté, à la profondeur et au secret. Si on lui demandait qu’est-ce qu’un roi ? et qu’il osât répondre franchement, il dirait : C’est mon ennemi ou c’est mon licteur[1]. Plus il est saint, plus il est redoutable. Le prêtre avili ne peut rien ; son avidité, son ambition, ses intrigues, ses mauvaises mœurs ont été plus nuisibles à la religion que tous les efforts de l’incrédulité. C’est la contradiction de sa conduite, de ses principes qui a enhardi à l’examen et au mépris de ceux-ci. S’il eût été le pacificateur des troubles populaires, le conciliateur des pères avec les enfants, des époux et des parents entre eux, le consolateur de l’affligé, le défenseur de l’opprimé, l’avocat du pauvre, quelque absurdes qu’aient été les dogmes d’une classe de citoyens aussi utiles, qui d’entre nous aurait osé les attaquer ? Le prêtre est intolérant et cruel ; la hache qui mit en pièces Agag[2] n’est jamais tombée de ses mains. Sa justice ou celle de Dieu, ou des livres inspirés, est celle des circonstances. Il n’y a point de vertus qu’il ne puisse flétrir, et point de forfaits qu’il ne puisse sanctifier ; il a des autorités pour et contre.

Je ne hais point le prêtre. S’il est bon, je le respecte ; s’il est mauvais, je le méprise ou je le plains. Et si je le peins ici avec des couleurs effrayantes, c’est qu’il faut négliger les exceptions et le connaître tel qu’il est par état, pour l’instituer tel qu’il doit être ; je veux dire saint ou hypocrite. L’hypocrisie est une vertu sacerdotale ; car le plus pernicieux des scandales est celui que le prêtre donne.

  1. Toutes ces idées sur le prêtre se retrouvent dans divers ouvrages de Diderot, notamment dans la Réfutation d’Helvétius et dans le Discours d’un Philosophe à un Roi, ci-après, t. IV, Miscellanea philosophiques.
  2. Roi des Amalécites, épargné par Saül, son vainqueur, mais que Samuel revendiqua et qu’il coupa en morceaux devant le Seigneur, à Galgala. (Rois, I, xvi, v. 33.)