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Un inconvénient des grandes facultés de médecine dans les capitales, et surtout pour les principaux personnages de la société, c’est l’assujettissement du médecin à une certaine pratique ou routine de faculté, sous peine de risquer sa réputation et sa fortune ; s’il s’en écarte et que le succès ne réponde pas à son attente, il est perdu ; s’il réussit, que lui en revient-il ? rien, si ce n’est l’épithète de téméraire. Son génie n’est en liberté qu’à notre chevet, parce que sa tentative heureuse ou malheureuse est sans conséquence pour lui. Nous pouvons disparaître d’entre les vivants sans qu’on s’en aperçoive.

J’ai quelquefois pensé que les charlatans qui habitent les faubourgs des grandes villes n’étaient pas si pernicieux qu’on le supposait. C’est l’empirisme qui a donné naissance à la médecine et elle n’a de vrais progrès à attendre que de l’empirisme.

Un malade incurable au centre d’une famille, est comme un arbre mort au centre d’un jardin, dont les racines pourries sont funestes à tous les arbustes qui l’entourent ; les soins que la tendresse ou la commisération ne peut refuser à un vieillard infirme, à un enfant maladif, dérangent l’ordre des devoirs et répandent l’amertume sur la journée de ceux qu’ils occupent. Le hardi empirique auquel le malade s’adresse lorsqu’il est abandonné du facultaliste, le tue ou lui rend la santé et la jouissance de leur existence à ceux qui les soignaient.

Ce raisonnement est-il d’un homme ? non, il est d’un ministre. Le ministre dédaigne le vieillard qui n’est plus bon à rien et ne prise l’enfant que par le fruit qu’il en attend ; il n’y a qu’une vie précieuse pour lui, celle de l’homme fait, parce qu’elle seule est utile ; sa tête est comme une ruche où, à l’exemple des abeilles, il extermine toutes celles qui cessent de donner du miel.

Il y aurait un beau discours à faire sur l’exercice de la médecine, mais il s’agit de son enseignement et j’y viens. Il faut :

1° Créer un nombre suffisant de professeurs et les stipendier de manière qu’ils puissent se livrer tout entiers à l’enseignement ;

2° Établir à côté des écoles un hôpital où les élèves soient initiés à la pratique ;

3° Obliger les maîtres à suivre un ordre fixe et déterminé dans le cours des études.