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— Gardez-vous-en bien.

— Et pourquoi ?

— C’est que vous doubleriez votre peine, et qu’à la perte du temps, vous ajouteriez celle du goût, en vous accoutumant à des tours vicieux et barbares.

— Et quel inconvénient ce vice et cette barbarie de langage et de style ont-ils pour l’avenir ?

— Je ne veux pas qu’on compose, absolument je ne le veux pas ; nos premiers littérateurs, nos anciens auteurs de grammaires et de dictionnaires n’ont pas composé, et personne aujourd’hui ne possède, peut-être, les langues grecque et latine comme ils les ont possédées.

DE LA VERSION ET DU THÈME.

Cependant, quel est le travail de l’esprit en traduisant ? C’est de chercher dans la langue qu’on possède, les expressions correspondantes à celles de la langue étrangère dont on traduit et qu’on étudie.

Et quel est le travail de l’esprit en composant ? C’est de chercher, dans la langue étrangère qu’on apprend, des expressions correspondantes à celles de la langue qu’on parle, et qu’on sait.

Or il est évident que, dans cette dernière opération, ce n’est pas la langue qu’on sait, que l’on apprend ; c’est donc celle qu’on ignore.

Il ne l’est donc pas moins que dans la première qui est exactement son inverse, on fait vraiment le contraire[1].

Mais si ces deux sortes de versions concourent au progrès

  1. « Ce qui est surtout évident, c’est que, faute d’un instant de réflexion, Diderot a pris ici la proposition sous un point de vue tout à fait faux. Sans doute le travail du thème est de chercher un mot latin pour rendre le mot français ; mais s’ensuit-il de ce travail que le mot qu’on trouvera sera nécessairement celui qui convient ? Un écolier aura à rendre cette expression, maison Cornélienne, qu’après avoir cherché dans son Dictionnaire le mot maison, entre les différentes traductions de ce mot, il s’arrête au mot domus ; son travail de recherche lui aura été fort peu utile : rien ne le choquera dans la phrase où il insérera ce mot, rien ne l’avertira du ridicule de son choix ; comment, avant de savoir le latin, s’apercevra-t-il de la bizarrerie d’une phrase latine de sa composition ? Qu’au contraire il ait à traduire le gens Corneliana, s’il est embarrassé entre les différentes acceptions du mot gens, il aura, pour