Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il me semble qu’ils y rencontreraient moins de difficultés, et qu’ils y prendraient plus de goût, les faits et les personnages dont Thucydide, Xénophon, Tite-Live, Tacite, Virgile les entretiendraient, leur étant déjà connus.

L’enseignement d’une science, quelle qu’elle soit, pouvant être fait dans la langue de la nation, je conçois bien l’inconvénient, mais je suis encore à sentir l’avantage d’ajouter à la difficulté des choses celle d’un idiome étranger, dans lequel il est souvent difficile, quelquefois impossible, de s’expliquer sans employer des tours et des expressions barbares. Si le maître parle un latin pur et correct, il ne gâtera pas le goût des élèves, mais ils fatigueront à l’entendre ; s’il parle un latin barbare, comme il est d’usage et de nécessité dans une langue morte à laquelle il manque une infinité de termes correspondants à nos mœurs, à nos lois, à nos usages, à nos fonctions, à nos ouvrages, à nos inventions, à nos arts, à nos sciences, à nos idées ; il sera entendu, mais ce ne sera pas sans danger pour le goût.

Et puis je demanderai : à qui ces langues anciennes sont-elles d’une utilité absolue ? J’oserais presque répondre : à personne, si ce n’est aux poètes, aux orateurs, aux érudits et aux autres classes des littérateurs de profession, c’est-à-dire aux états de la société les moins nécessaires.

Prétendra-t-on qu’on ne puisse être un grand jurisconsulte sans la moindre teinture de grec et avec une très-petite provision de latin, tandis que tous les nôtres en sont là ? J’en dis autant de nos théologiens et de nos médecins : ces derniers se piquent de bien savoir et de bien écrire le latin, mais ils ignorent le grec ; et la langue de Galien et d’Hippocrate n’est pas plus familière à nos iâtres[1] que l’hébreu, idiome dans lequel les livres saints sont écrits, ne l’est à nos hiérophantes.

Mais tant pis, dira-t-on.

Et pourquoi tant pis ? en possèdent-ils moins bien l’anatomie, la physiologie, l’histoire naturelle, la chimie et les autres connaissances essentielles à leur profession ? leurs anciens auteurs n’ont-ils pas été traduits et retraduits cent fois ? Mais quand je conviendrais de l’avantage de ces langues pour cer-

  1. Du mot grec ἰαθρὸς, médecin. (Br.)