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belle page est plus difficile à écrire que la belle action à faire[1] ; mais celle-ci est d’une bien autre importance.

Les beaux-arts ne font pas les bonnes mœurs ; ils n’en sont que le vernis.

Il faut qu’il y ait des orateurs, des poètes, des philosophes, de grands artistes ; mais, enfants du génie bien plus que de l’enseignement, le nombre n’en doit et n’en peut être que fort petit. Il importe surtout qu’ils soient excellents moralistes, condition sans laquelle ils deviendront des corrupteurs dangereux. Ils préconiseront le vice éclatant, et laisseront le mérite obscur dans son oubli. Adulateurs des grands, ils altéreront, par leurs éloges mal placés, toute idée de vertu : plus ils seront séduisants, plus on les lira, plus ils feront de mal.

Voilà une des raisons pour lesquelles je relègue l’étude des belles-lettres dans un rang fort éloigné. J’en vais exposer beaucoup d’autres : je m’élève contre un ordre d’enseignement consacré par l’usage de tous les siècles et de toutes les nations, et j’espère qu’on me permettra d’être un peu moins superficiel sur ce sujet.

OBJECTIONS.

Voici les raisons de ceux qui s’obstinent à placer l’étude du grec et du latin à la tête de toute éducation publique ou particulière.

1° Il faut, disent-ils, appliquer à la science des mots l’âge où l’on a beaucoup de mémoire et peu de jugement.

2° Si l’étude des langues exige beaucoup de mémoire, elle l’étend encore en l’exerçant.

3° Les enfants ne sont guère capables d’une autre occupation.

RÉPONSE.

À cela je réponds qu’on peut exercer et étendre la mémoire des enfants aussi facilement et plus utilement avec d’autres connaissances que des mots grecs et latins ; qu’il faut autant de

  1. Voyez là-dessus les dernières pages de cet ouvrage, où j’expose les raisons d’une opinion qui peut être contredite. — (Note du manuscrit de la main de Diderot.)