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choses de la vie. Les sauvages font des voyages immenses sans se parler, parce que les sauvages sont ignorants. Les hommes instruits se cherchent ; ils aiment à se voir et à s’entretenir. La science éveille le désir de la considération. On veut être désigné du doigt, et faire dire de soi : Le voilà, c’est lui[1]. De ce désir naissent des idées d’honneur et de gloire, et ces deux sentiments qui élèvent l’âme et qui l’agrandissent, répandent en même temps une teinte de délicatesse sur les mœurs, les procédés et les discours. J’oserais assurer que la pureté de la morale a suivi les progrès des vêtements depuis la peau de la bête jusqu’à l’étoffe de soie.

Combien de vertus délicates que l’esclave et le sauvage ignorent ! Si l’on croyait que ces vertus, fruits du temps et des lumières, sont de convention, l’on se tromperait ; elles tiennent à la science des mœurs comme la feuille tient à l’arbre qu’elle embellit.

Convaincue de ces vérités, Sa Majesté demande le plan d’une université ou d’une école publique de toutes les sciences. L’objet est de la plus grande importance, la tâche d’une étendue peut-être au-dessus de mes forces ; mais le zèle, qui quelquefois supplée au talent, a toujours excusé les défauts de l’ouvrage. J’obéis donc.

Je serai bref. Peu de lignes, mais claires ; peu d’idées, mais fécondes, s’il se peut ; poser les principes généraux ou tirer les grandes conséquences et négliger les exceptions ; surtout rien de systématique. Le meilleur des plans, en toute circonstance, mais spécialement dans celle-ci, est celui qui réunit le plus d’avantages avec le moins d’inconvénients. Une objection ne signifie rien, car à quoi n’objecte-t-on pas ? Plusieurs objections pourraient ne pas signifier davantage, puisqu’il ne serait pas impossible que le plan qui en fournirait le plus ne fût encore le meilleur.


DES AUTEURS QUI ONT ÉCRIT DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Pour satisfaire aux ordres de Sa Majesté et répondre aussi bien que je le pouvais à la confiance dont elle m’honore, j’ai

  1. « At pulchrum et digito monstrari, et dicior : hic est. »
    Perse, Sat. i, v, 28.