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de passe-passe, on prend une teinture de philosophie, avec laquelle on se met en chemin pour l’université.

C’est une grande question que de savoir si la seule étude des langues anciennes vaut le temps qu’on lui consacre, et si cette époque précieuse de la jeunesse ne pourrait pas être employée à des occupations plus importantes. Soit raison, soit préjugé, je croirai difficilement qu’on puisse se passer de la connaissance des Anciens. Cette littérature a une consistance, un attrait, une énergie, qui feront toujours le charme des grandes têtes. Mais je pense que l’étude des langues anciennes pourrait être abrégée considérablement, et mêlée de beaucoup de connaissances utiles. En général, dans l’établissement des écoles, on a donné trop d’importance et d’espace à l’étude des mots, il faut lui substituer aujourd’hui l’étude des choses[1]. Je pense qu’on devrait donner dans les écoles une idée de toutes les connaissances nécessaires à un citoyen, depuis la législation jusqu’aux arts mécaniques, qui ont tant contribué aux avantages et aux agréments de la société ; et dans ces arts mécaniques, je comprends les professions de la dernière classe des citoyens. Le spectacle de l’industrie humaine est en lui-même grand et satisfaisant : il est bon de connaître les différents rapports par lesquels chacun contribue aux avantages de la société. Ces connaissances ont un attrait naturel pour les enfants dont la curiosité est la première qualité. D’ailleurs il y a dans les arts mécaniques les plus communs un raisonnement si juste, si compliqué, et cependant si lumineux, qu’on ne peut assez admirer la profondeur de la raison et du génie de l’homme, lorsque tant de sciences plus élevées ne servent qu’à nous démontrer l’absurdité de l’esprit humain.

J’oubliais de dire que dans ces écoles on cultive aussi la musique, et qu’elle est particulièrement enseignée à un certain nombre de pauvres écoliers qui, par une fondation particulière, sont nourris, logés et quelquefois vêtus sous l’inspection spéciale d’un préfet, et suivent d’ailleurs toutes les études avec les autres écoliers. Ces sortes de fondations peuvent avoir leurs avantages, en ce que l’enfant d’un artisan, d’un pauvre homme dépourvu de toute espèce de moyens, peut apporter en naissant

  1. Nous en sommes encore à ressasser les mêmes arguments ; mais alors c’était avec nouveauté. On reconnaît là l’encyclopédiste.