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ments, des passions, des signes, des gestes, des sons, des sons articulés, une langue, des lois, des sciences, et des arts ; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre chacun de ces développements ; qu’il a peut-être encore d’autres développements à subir et d’autres accroissements à prendre, qui nous sont inconnus ; qu’il a eu ou qu’il aura un état stationnaire ; qu’il s’éloigne ou qu’il s’éloignera de cet état par un dépérissement éternel, pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées ; qu’il disparaîtra pour jamais de la nature, ou plutôt qu’il continuera d’y exister, mais sous une forme, et avec des facultés tout autres que celles qu’on lui remarque dans cet instant de la durée[1] ? La religion nous épargne bien des écarts et bien des travaux. Si elle ne nous eût point éclairés sur l’origine du monde et sur le système universel des êtres, combien d’hypothèses différentes que nous aurions été tentés de prendre pour le secret de la nature ? Ces hypothèses étant toutes également fausses, nous auraient paru toutes à peu près également vraisemblables. La question, pourquoi il existe quelque chose, est la plus embarrassante que la philosophie pût se proposer ; et il n’y a que la révélation qui y réponde.

3. Si l’on jette les yeux sur les animaux et sur la terre brute qu’ils foulent aux pieds ; sur les molécules organiques et sur le fluide dans lequel elles se meuvent ; sur les insectes microscopiques, et sur la matière qui les produit et qui les environne, il est évident que la matière en général est divisée en matière morte et en matière vivante. Mais comment se peut-il faire que la matière ne soit pas une, ou toute vivante, ou toute morte ? La matière vivante est-elle toujours vivante ? Et la matière morte est-elle toujours et réellement morte ? La matière vivante ne meurt-elle point ? La matière morte ne commence-t-elle jamais à vivre[2] ?

4. Y a-t-il quelque autre différence assignable entre la

  1. Toute la théorie moderne du transformisme tient dans cette page, qui trouvera son complément dans le Rêve de D’Alembert.
  2. C’est cette question qui donne un si vif intérêt et une si grande portée aux expériences sur l’hétérogenèse ou génération spontanée de certains organismes microscopiques inférieurs, et à la lutte entamée, dans ces dernières années, entre MM. Pouchet, Joly, etc., et M. Pasteur. La victoire paraît en ce moment s’être prononcée en faveur des adversaires de l’hétérogénie ; mais le sort des armes est changeant et la science officielle n’est pas toujours la science vraie.