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tion de l’art, qu’elle ne l’a été, ne l’est, et ne le sera dans aucune combinaison de la nature abandonnée à elle-même. Et l’on va voir, par la première des questions suivantes, pourquoi j’ai fait entrer, dans quelques-unes de mes propositions, les notions du passé, du présent et de l’avenir ; et pourquoi j’ai inséré l’idée de succession dans la définition que j’ai donnée de la nature.

1. Si les phénomènes ne sont pas enchaînés les uns aux autres, il n’y a point de philosophie. Les phénomènes seraient tous enchaînés, que l’état de chacun d’eux pourrait être sans permanence. Mais si l’état des êtres est dans une vicissitude perpétuelle ; si la nature est encore à l’ouvrage, malgré la chaîne qui lie les phénomènes, il n’y a point de philosophie. Toute notre science naturelle devient aussi transitoire que les mots. Ce que nous prenons pour l’histoire de la nature, n’est que l’histoire très-incomplète d’un instant. Je demande donc si les métaux ont toujours été et seront toujours tels qu’ils sont ; si les plantes ont toujours été et seront toujours telles qu’elles sont ; si les animaux ont toujours été et seront toujours tels qu’ils sont[1], etc. ? Après avoir médité profondément sur certains phénomènes, un doute qu’on vous pardonnerait peut-être, ô sceptiques, ce n’est pas que le monde ait été créé, mais qu’il soit tel qu’il a été et qu’il sera.

2. De même que dans les règnes animal et végétal, un individu commence, pour ainsi dire, s’accroît, dure, dépérit et passe ; n’en serait-il pas de même des espèces entières ? Si la foi ne nous apprenait que les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons ; et s’il était permis d’avoir la moindre incertitude sur leur commencement et sur leur fin, le philosophe abandonné à ses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l’animalité avait de toute éternité ses éléments particuliers, épars et confondus dans la masse de la matière ; qu’il est arrivé à ces éléments de se réunir, parce qu’il était possible que cela se fît ; que l’embryon formé de ces éléments a passé par une infinité d’organisations et de développements ; qu’il a eu, par succession, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des senti-

  1. « Chaque soulèvement de ces chaînes de montagnes dont nous pouvons déterminer l’ancienneté relative, a été signalé par la destruction des espèces antérieures et l’apparition de nouvelles organisations. » Humboldt. Cosmos, 1853.