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épigastriques et mammaires[1] me démontre que c’est le lait qui cause le gonflement de la gorge, dont les filles mêmes sont quelquefois incommodées à l’approche de l’évacuation périodique ; qu’il n’y a presque aucune fille qui ne devînt nourrice, si elle se faisait téter ; et que j’ai sous les yeux une femelle d’une espèce si petite, qu’il ne s’est point trouvé de mâle qui lui convînt, qui n’a point été couverte, qui n’a jamais porté, et dont les tettes se sont gonflées de lait, au point qu’il a fallu recourir aux moyens ordinaires pour la soulager ? Combien n’est-il pas ridicule d’entendre des anatomistes attribuer sérieusement à la pudeur de la nature une ombre qu’elle a également répandue sur des endroits de notre corps où il n’y a rien de déshonnête à couvrir ? L’usage que lui supposent d’autres anatomistes fait un peu moins d’honneur à la pudeur de la nature, mais n’en fait pas davantage à leur sagacité. Le physicien, dont la profession est d’instruire et non d’édifier, abandonnera donc le pourquoi, et ne s’occupera que du comment. Le comment se tire des êtres ; le pourquoi, de notre entendement ; il tient à nos systèmes ; il dépend du progrès de nos connaissances. Combien d’idées absurdes, de suppositions fausses, de notions chimériques, dans ces hymnes que quelques défenseurs téméraires des causes finales ont osé composer à l’honneur du Créateur ? Au lieu de partager les transports de l’admiration du Prophète, et de s’écrier pendant la nuit, à la vue des étoiles sans nombre dont les cieux sont éclairés, Cœli enarrant gloriam Dei (David, psalm. xviii, v. i.) ils se sont abandonnés à la superstition de leurs conjectures. Au lieu d’adorer le Tout-Puissant dans les êtres mêmes de la nature, ils se sont prosternés devant les fantômes de leur imagination. Si quelqu’un, retenu par le préjugé, doute de la solidité de mon reproche, je l’invite à comparer le traité que Galien a écrit de l’usage des parties du corps humain, avec la physiologie de Boërhaave ; et la physiologie de Boërhaave, avec celle de Haller : j’invite la postérité à comparer ce que ce dernier ouvrage contient de vues systématiques et passagères, avec ce que la physiologie deviendra dans

  1. Cette découverte anatomique est de M. Bertin, et c’est une des plus belles qui se soit faite de nos jours. (Diderot.) — La découverte fut niée et Bertin dut soutenir une polémique très-vive contre Ferrein, avec lequel il était déjà en dissidence sur un autre point. Voyez Lettres sur le nouveau système de la voix et sur les artères lymphatiques, adressées par Bertin, sous le voile de l’anonyme, à Gunz, professeur à Leipzig (1748).