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la collection universelle des phénomènes et l’existence de Dieu seront ses écueils. Mais quoique nous rejetions les idées du docteur d’Erlangen, nous aurions bien mal conçu l’obscurité des phénomènes qu’il s’était proposé d’expliquer, la fécondité de son hypothèse, les conséquences surprenantes qu’on en peut tirer, le mérite des conjectures nouvelles sur un sujet dont se sont occupés les premiers hommes dans tous les siècles, et la difficulté de combattre les siennes avec succès, si nous ne les regardions comme le fruit d’une méditation profonde, une entreprise hardie sur le système universel de la nature et la tentative d’un grand philosophe.


LI.


de l’impulsion d’une sensation.



Si le docteur Baumann eût renfermé son système dans de justes bornes et n’eût appliqué ses idées qu’à la formation des animaux, sans les étendre à la nature de l’âme, d’où je crois avoir démontré contre lui qu’on pouvait les porter jusqu’à l’existence de Dieu, il ne se serait point précipité dans l’espèce de matérialisme la plus séduisante, en attribuant aux molécules organiques le désir, l’aversion, le sentiment et la pensée. Il fallait se contenter de supposer une sensibilité mille fois moindre que celle que le Tout-Puissant a accordée aux animaux les plus voisins de la matière morte. En conséquence de cette sensibilité sourde et de la différence des configurations, il n’y aurait eu pour une molécule organique quelconque qu’une situation la plus commode de toutes, qu’elle aurait sans cesse cherchée par une inquiétude automate, comme il arrive aux animaux de s’agiter dans le sommeil, lorsque l’usage de presque toutes leurs facultés est suspendu, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la disposition la plus convenable au repos. Ce seul principe eût satisfait, d’une manière assez simple et sans aucune conséquence dangereuse, aux phénomènes qu’il se proposait d’expliquer, et à ces merveilles sans nombre qui tiennent si stupéfaits tous nos observateurs d’insectes ; et il eût défini l’animal en général, un système de différentes molécules organiques qui, par l’impulsion d’une sensation semblable et un toucher obtus et sourd que celui qui a créé la matière en général leur a donné, se sont combinées