Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA MARÉCHALE.

Dieu m’en garde ! Je veux dire que, si ma justice n’est pas celle de M. le maréchal, la justice de M. le maréchal pourrait bien n’être pas celle du vieillard.

CRUDELI.

Ah ! madame ! vous ne sentez pas les suites de cette réponse. Ou la définition générale convient également à vous, à M. le maréchal, à moi, au jeune Mexicain et au vieillard ; ou je ne sais plus ce que c’est, et j’ignore comment on plaît ou l’on déplaît à ce dernier.

Nous en étions là lorsqu’on nous avertit que M. le maréchal nous attendait. Je donnai la main à Mme la maréchale, qui me disait : C’est à faire tourner la tête, n’est-ce pas[1] ?

CRUDELI.

Pourquoi donc, quand on l’a bonne ?

LA MARÉCHALE.

Après tout, le plus court est de se conduire comme si le vieillard existait.

CRUDELI.

Même quand on n’y croit pas.

LA MARÉCHALE.

Et quand on y croirait, de ne pas compter sur sa bonté.

CRUDELI.

Si ce n’est pas le plus poli, c’est du moins le plus sûr.

LA MARÉCHALE.

À propos, si vous aviez à rendre compte de vos principes à nos magistrats, les avoueriez-vous ?

CRUDELI.

Je ferais de mon mieux pour leur épargner une action atroce.

  1. Voici comment ces dernières lignes sont données par la Correspondance secrète :

    « C’est la bouteille à l’encre, n’est-ce pas ?

    — Il est vrai.

    — Après tout, le plus court est de se conduire comme si le vieillard existait… même quand on n’y croit pas.

    — Et quand on y croit, de ne pas trop compter sur sa miséricorde. Saint Nicolas, nage toujours et ne t’y fie pas.

    — C’est le plus sûr… À propos, etc. »