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CRUDELI.

La justice qui décidera de votre sort est bien rigoureuse

LA MARÉCHALE.

Il est vrai.

CRUDELI.

Et si vous en croyez les oracles de votre religion sur le nombre des élus, il est bien petit.

LA MARÉCHALE.

Oh ! c’est que je ne suis pas janséniste ; je ne vois la médaille que par son revers consolant : le sang de Jésus-Christ couvre un grand espace à mes yeux ; et il me semblerait très-singulier que le diable, qui n’a pas livré son fils à la mort, eût pourtant la meilleure part.

CRUDELI.

Damnez-vous Socrate, Phocion, Aristide, Caton, Trajan, Marc-Aurèle ?

LA MARÉCHALE.

Fi donc ! il n’y a que des bêtes féroces qui puissent le penser. Saint Paul dit que chacun sera jugé par la loi qu’il a connue ; et saint Paul a raison.

CRUDELI.

Et par quelle loi l’incrédule sera-t-il jugé ?

LA MARÉCHALE.

Votre cas est un peu différent. Vous êtes un de ces habitants maudits de Corozaïn et de Betzaïda, qui fermèrent leurs yeux à la lumière qui les éclairait, et qui étoupèrent leurs oreilles pour ne pas entendre la voix de la vérité qui leur parlait.

CRUDELI.

Madame la maréchale, ces Corozaïnois et ces Betzaïdains furent des hommes comme il n’y en eut jamais que là, s’ils furent maîtres de croire ou de ne pas croire.

LA MARÉCHALE.

Ils virent des prodiges qui auraient mis l’enchère aux sacs et à la cendre, s’ils avaient été faits à Tyr et à Sidon.